Editorial : bataille autour de l’étiquetage alimentaire

Pas facile en effet de décrypter la composition des aliments. Il ne s’agit pas seulement d’une question de principe : les enjeux de santé publique sont considérables, l’augmentation récente de la prévalence de l’obésité et du diabète dans la population étant, pour une grande part, liée à l’essor de l’alimentation transformée.
En 2011, soumise à un lobbying intense de l’industrie et confrontée au peu de volonté de certains Etats membres, la Commission européenne avait renoncé à imposer, à l’échelon communautaire, un étiquetage alimentaire simple et efficace.
Trois ans plus tard, Marisol Touraine, ministre française de la santé, remettait le projet en selle au niveau national. Mais les lobbys ont encore interféré. Publiée le 8 juillet, l’enquête du Monde dans les instances chargées de déterminer le système d’étiquetage le plus efficace dévoile une accumulation impressionnante de conflits d’intérêts.
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Au cœur du malaise : une étude destinée à comparer l’efficacité du système d’étiquetage développé par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et celle des systèmes proposés par l’agroalimentaire ou la grande distribution...
Les conditions de réalisation de cette étude sèment le doute : comité de pilotage où figurent des représentants des industries concernées ; comité scientifique dominé par des experts liés à ces mêmes industriels ; absence de déclaration de certains liens d’intérêts par des experts engagés dans le processus ; gestion des fonds publics alloués à l’étude confiée à une organisation de la filière agroalimentaire elle-même...
Plusieurs experts ont déjà quitté le dispositif, jugeant les dés pipés. Et les chercheurs de l’Inserm ayant élaboré le système d’étiquetage réalisé sur un financement public ont été écartés du dispositif : ils auraient été juge et partie. Le rôle du ministère de la santé est pourtant de mettre en place des garde-fous pour se prémunir des conflits d’intérêt privés, au nom de l’intérêt général.
L’institutionnalisation du conflit d’intérêts au cœur de l’Etat ne nuit pas seulement à la santé publique. Elle est aussi dangereuse. Elle contribue à démonétiser la parole politique et ajoute au discrédit des élites. La question d’un logo sur les aliments est également emblématique d’une politique de prévention qui fait souvent figure de parent pauvre. Il est d’ailleurs difficile de trouver des financements publics ou un « expert en nutrition » qui ne soient pas liés de près ou de loin à l’industrie agroalimentaire.
Est-il vraiment nécessaire de réaliser une étude supplémentaire qui va être longue et coûter 2 millions d’euros, dont la moitié d’argent public, et faire fi de dizaines de publications scientifiques qui existent déjà et vont dans le sens de l’Inserm ?
Quand il y a volonté d’Etat, de grandes avancées sont pourtant possibles : le paquet de cigarettes neutre, voulu par Mme Touraine, doit être salué comme un progrès majeur en termes de santé publique. Aurait-il vu le jour si l’évaluation de la mesure avait été conduite en partenariat avec les cigarettiers ?
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