Le Monde | 09.07.2016 à 08h23
• Mis à jour le
09.07.2016 à 12h01
| Par Maryline Baumard
La brosse va et vient sur le sol du pont arrière de l’Aquarius. Erna Rijnierse en finit avec quelques taches avant de filer nettoyer les trois douches des femmes. Il fait 30° au soleil, vendredi 8 juillet, et la sueur perle sur le front du docteur de Médecins sans frontières (MSF), comme elle glisse sur le visage d’Albert Mayordomo, un des sauveteurs professionnels.
Sur le navire de sauvetage de SOS Méditerranée, le service continue, de jour comme de nuit, que le bateau soit plein ou vide. Ce vendredi 8 juillet aurait pu être une journée « off » pour les neuf membres de l’équipe MSF et les huit sauveteurs de l’équipe SAR (« Search and Rescue », recherche et sauvetage en français). Mais quand le pont n’accueille plus de migrants, ils préparent les arrivées suivantes. « Nous venons d’héberger plus de 300 personnes à bord ; elles y ont mangé et dormi. Il y a forcément un petit nettoyage à faire », observe Mark Leirer, un des deux infirmiers, impliqué dans l’opération « rafraîchissement » de ce centre de premier accueil flottant.
Dans le réseau de MSF, il se dit que la mission à bord des bateaux de sauvetage en Méditerranée est une des plus exigeantes. On ne travaille pas sur un navire comme à terre, et si les marins prennent le temps de discuter avec les migrants, de les écouter, les équipes de MSF et SAR prennent, de leur côté, grand soin de l’Aquarius. On est loin de La croisière s’amuse !Rechargement des kits de premiers secoursLa veille déjà, personne n’avait vraiment soufflé. A peine les 333 passagers étaient-ils débarqués à Messine (Sicile), jeudi 7 juillet, que déjà le responsable logisticien italien de MSF livrait les kits de premiers secours, la nourriture et les médicaments nécessaires aux sauvetages à venir.Chaque petit sac de toile contient une combinaison blanche qui permet d’enlever des vêtements imbibés d’essence, d’urine ou seulement d’eau de mer. S’y ajoutent des chaussettes qu’apprécient particulièrement ceux qui arrivent pieds nus. Chaque kit renferme aussi – trésor absolu – une bouteille d’eau à remplir aux fontaines du pont et un paquet de biscuits reconstituants couvrant vingt-quatre heures de besoins alimentaires. Si on y ajoute la serviette de toilette et la couverture, les sans-bagages de la Méditerranée retrouvent dès qu’ils posent un pied sur l’Aquarius un minimum d’effets personnels destinés à restaurer un peu leur dignité mise à mal par ce voyage au bout de l’enfer.En quittant le port de Trapani, le 3 juillet au matin, toute l’équipe avait dû composer chaque sac, un à un. Cette fois, avant le départ de Messine, MSF Italie a accompli le fastidieux travail, libérant l’équipe de l’Aquarius pour le grand nettoyage avec les sauveteurs.Les SAR, équipe aux profils variésLes SAR constituent une équipe de huit personnes aux profils variés. Quatre d’entre eux, hyper expérimentés en constituent le noyau dur. Il y a d’abord Albert Mayordomo, un Catalan plongeur sauveteur de métier de 32 ans, et Bertrand Thiébault, un Français de 42 ans aux multiples carrières, qui a couru les mers en travaillant sur des yachts. Deux vrais « pros » qui cachent sous l’action une sensibilité extrême au drame qui se joue chaque jour en mer. S’y ajoutent James O’Mahony, un jeune marin, et Mathias Menge, leur chef, qui a fait une partie de sa carrière dans la marine marchande.Le reste de l’équipe est moins aguerrie aux sauvetages et aux océans, mais la branche allemande de SOS Méditerranée tient à une présence de la « société civile » sur le bateau. Christina Schmidt incarne parfaitement ce modèle. L’Allemande, ex-réalisatrice et productrice de télévision, devenue chercheuse sur les migrations, allie connaissance du sujet et fortes capacités d’adaptation. Autour d’elle, Andreas Siegert, un consultant en marketing, engagé dans un projet d’accueil des Syriens en Allemagne, prête main-forte avec deux étudiants volontaires venus pour l’été. Professionnels ou non, tous ces engagés pour SOS Méditerranée sont des volontaires ; ce à quoi tient l’association, financée à 99 % par les dons du public.
Si Christina, Andreas et les étudiants ne montent pas dans les canots de sauvetages, ils assurent la mission hautement symbolique de hisser les gens à bord. Combien de bras Christina a-elle tiré vers elle ? A combien de personnes a-t-elle offert ce premier geste d’accueil après la violence du séjour en mer ? « J’aime particulièrement tendre la main. C’est un geste fort qui s’opère parfois dans des conditions difficiles, mais qui concentre l’essence même de notre mission », observe cette femme, qui en prime et par tous les temps, trouve l’énergie d’ajouter un sourire de bienvenue. Les bébés passent tous par ses bras, et les blessés trouvent appui sur elle, qui les aide à se hisser depuis les derniers barreaux de l’échelle.« On ne sait jamais ce qu’on va trouver »En mer, Mathias Menge fait équipe avec Bertrand Thiébault, qui conduit un des canots quand Albert Mayordomo est sur l’autre. L’un assure les rotations, l’autre reste près de l’esquif tout le temps du sauvetage. Afin d’éviter la panique, Amani Teklehaimanot, le médiateur culturel de MSF est dépêché dès l’arrivée sur le lieu. Le maniement de nombreuses langues africaines par cet Erythréen installé de longue date en Suède, rassure les passagers des canots qui ignorent dans un premier temps à qui ils ont affaire. Or, le maintien d’un certain calme « est la condition première pour pouvoir travailler », insiste Albert, numéro 2 des SAR.Casquée et équipée de son gilet de sauvetage dès la première alerte, Erna Riejnirse, le médecin, est elle aussi de ce premier repérage, afin de mesurer très vite les besoins sanitaires, car comme elle le dit, « on ne sait jamais ce qu' on va trouver »… Très vite, pourtant, elle revient à bord de l’Aquarius, où elle commence à prendre en charge les blessés les plus lourds pendant que les infirmiers, eux, font l’accueil, et les logisticiens l’enregistrement. Chacun reçoit en prime une petite parole qui rassure. Depuis le 3 juillet, Hassiba Hadj Sarahoui s’en charge, pendant que Jacob Golberg, infirmier entre sur une tablette les âges et nationalités, pour le besoin des statistiques. De son côté, Angelina Perri, la sage-femme accueille une à une les femmes avec ou sans enfants dans la grande pièce de l’Aquarius qui leur est réservée, tout près des deux cliniques. Toutes les femmes enceintes seront examinées, écoutée et pourront se reposer.Début juillet, sur l’Aquarius, la procédure de sauvetage est déjà bien rodée dans cette équipe qui a commencé sa saison en avril. Pourtant, à chaque nouveau départ d’un port, c’est comme une histoire qui recommence et ils refont les exercices de simulation. Mannequins à la mer, sortie des canots et décision d’un protocole. Car, comme le rappelle Mathias Menge, « il n’y a jamais de stratégie parfaite. Justes des décisions que l’on prend rapidement et auxquelles on se tient parce qu’il faut bien choisir une méthode d’intervention »… « C’est grâce à ces entraînements qu’on ne panique jamais », observe Albert Mayordomo, toujours prêt à affronter toutes les situations. Quitte à les digérer ensuite.Lire la suite