7 millions de femmes soignées après un avortement risqué
Sept millions, c’est le nombre de femmes reçues dans les centres de soins des pays en développement, en 2012, pour des complications liées à un avortement risqué. L’estimation, réalisée par des chercheurs de l’Institut américain Guttmacher, est parue mercredi 19 août dans BJOG, journal international d’obstétrique et de gynécologie.D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 800 femmes meurent chaque jour de complications évitables liées à la grossesse et à l’accouchement, de 8 % à 15 % de ces décès étant dus à des avortements à risque. Ces interruptions de grossesses non désirées, parfois tardives, sont réalisées dans de mauvaises conditions sanitaires, par des professionnels insuffisamment formés… dans le meilleur des cas.Car souvent, les femmes qui souhaitent avorter se retrouvent seules ou mal accompagnées. « Au Burkina Faso, par exemple, les femmes n’ont pas le droit d’avorter, sauf en cas d’agression ou de souci de santé, expliqueIdrissa Kaboré, démographe et chercheur à l’Institut supérieur des sciences de la population (université de Ouagadougou), qui a participé à une étude sur les grossesses non désirées et les avortements provoqués. Des recettes de potions circulent dans la clandestinité : des mélanges de Coca-Cola, café, somnifères et autres produits… Les médecins sont difficiles à trouver. Les femmes qui n’ont pas de réseau sont obligées de faire appel à un tradi-praticien. » Après l’intervention, aucun suivi n’est prévu, ou alors, il coûte trop cher. Même problème pour les médicaments. Conséquences, des complications plus ou moins graves surviennent, comme des pertes de sang excessives, une évacuation incomplète du fœtus ou du placenta, une septicémie ou une perforation de l’utérus.Les auteurs de l’article publié dans BJOG se sont intéressés aux données disponibles dans vingt-six pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, en combinant publications scientifiques et statistiques officielles des systèmes de santé. Ils ont estimé dans chaque pays le taux de femmes qui ont bénéficié de traitements médicaux à la suite d’un avortement à risque, pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans : sa valeur oscille entre 2,4 au Brésil et 14,6 au Pakistan. En appliquant le taux moyen de 6,9 à l’ensemble des pays en développement, les auteurs évaluent à près de 7 millions le nombre de femmes concernées en 2012.« Ce chiffre montre l’ampleur du problème. Les avortements à risque restent aujourd’hui une cause majeure de mortalité maternelle », souligne Daphné Lagrou, référente santé sexuelle et reproductive à Médecins sans frontières. D’autant plus que cette statistique ne prend pas en compte les femmes qui n’ont pas accès à un centre de soins : elles représentent 40 % des femmes souffrant de complications, d’après les estimations réalisées en 2009 par l’Institut Guttmacher.Comment ces chiffres ont-ils évolué avec le temps ? Les auteurs de l’étude parue mercredi n’ont pas réussi à comparer leurs données à celles d’un précédent rapport de 2005, qui portait sur seulement treize pays. « Nous avons amélioré notre indicateur, sans pouvoir dégager de tendance à l’échelle mondiale. Cette mise à jour était nécessaire, car les méthodes d’avortement ont évolué : l’accès aux médicaments abortifs s’est développé », précise Susheela Singh, l’auteure principale de ces travaux. Le misoprostol est l’un de ces médicaments, peu coûteux et efficaces, utilisés pour interrompre une grossesse.Autre évolution, l’accès aux services de santé s’améliore, grâce aux meilleures capacités d’accueil des secteurs public et privé. « Mais il reste difficile, nuance le professeur Philippe Descamps, chef du service gynécologie-obstétrique au CHU d’Angers. Dans certaines zones reculées du Mali, il faut encore trois jours et trois nuits pour rejoindre un dispensaire. Développer les infrastructures sanitaires et former du personnel est essentiel. Mais il faut aussi gérer le problème en amont et développer la contraception. » Il s’agit de prévenir les grossesses non désirées, en rendant la contraception accessible et gratuite, et en améliorant l’éducation sexuelle des jeunes filles.Les auteurs de l’étude publiée dans BJOG ont aussi mesuré la charge financière supportée par les systèmes de santé des pays en développement : les 232 millions de dollars (210 millions d’euros) dépensés chaque année pour les soins post-avortement soulignent les bénéfices potentiels, sur le plan économique, d’une meilleure prise en charge.Nathalie Picard