Comment les jeunes diplômés valorisent leur année sabbatique
L'année sabbatique ? Elle exhale un indéniable parfum de liberté pour ceux qui la pratiquent, et de vacances pour ceux qui la jugent. Une image que les jeunes diplômés ne sont pas certains de pouvoir défaire à l'heure de rédiger leur CV et de passer des entretiens d'embauche. Vous avez cependant été nombreux à raconter, en réponse à notre appel à témoignages, comment vous avez évoqué et valorisé cette expérience lors de votre recherche d'emploi.
« Ayez confiance ! », vous exhorte Calixte, qui a décidé de suivre ses « vélléités de grand voyageur » en partant avec rien d'autre que « son sac et son sourire », six mois durant, en Asie du Sud-Est. « On m'avait pourtant dit de ne pas la faire, cette année de break. Mes professeurs m'avaient prévenu : 'on n'embauche qu'en sortie d'école', 'ça te suivra toute ta vie', 'ça fait touriste'... » Il ne les a pas écoutés, et ne regrette rien.
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Les premiers entretiens en « costume trois pièces, raie sur le côté et chaussures cirées », sont néanmoins difficiles : quand arrive la question fatidique de la césure, il ne peut s'empêcher d'avoir de « légers frissons et la gorge sèche ». Jusqu'au jour où, devant une RH, il décide d'assumer vraiment son choix, en misant sur son humour et son entrain. Conquise par son récit et par son assurance, elle se met même à le tutoyer. « Notre conversation est devenue bien plus chaleureuse », s'amuse-t-il. Et Calixte a décroché le job. Depuis, il est convaincu qu'en entretien, mieux vaut évoquer une passion, d'autant que « c'est bien plus facile que de parler du travail. »
ENJOLIVER OU PAS ?
Tous les responsables des ressources humaines ne sont pas pour autant sensibles à la portée romantique ou aventurière d'un voyage. Certains candidats privilégient ainsi (petits) mensonges et omissions, au risque que la supercherie soit dévoilée. « Mon conseil n'est pas très orthodoxe, mais la meilleure manière de valoriser son année sabbatique est de transformer un peu la vérité », confie un jeune ingénieur en informatique dont nous préserverons l'anonymat. « Pour ma part, j'ai dit à mon recruteur avoir passé une année à étudier le tchèque et à faire des MOOC (massive open online course) de programmation sur Internet. Alors qu'en réalité, j'ai passé un an à écumer les boîtes de Prague. Non seulement j'ai décroché le boulot grâce à cette valorisation sur mon CV, mais en plus j'ai eu une meilleure rémunération que mes camarades de promo qui n'avaient pas fait d'année sabbatique. »
A l'inverse, Mathieu, post-doctorant en biologie, préfère l'absolue sincérité, sans s'étaler. Après sa thèse de doctorat, il est parti neuf mois pour un périple en camionnette à travers l'Afrique de l'Ouest. Depuis, à chaque entretien, il est questionné sur ce qu'il fait pendant ce « trou ». « Je réponds sans mentir que j'ai décidé de faire une pause et de voyager. » Si l'on insiste, il tient une phrase prête pour répondre du tac au tac. « Ce que j'ai fait cette année-là n'a rien à faire sur un CV ; cela relève de ma vie non professionnelle et ne regarde pas mon employeur »
CÉSURE STUDIEUSE
Une répartie qui ne satisfait pas toujours les recruteurs, qui le lui font savoir. « Tant pis pour eux, tant mieux pour moi. Ça ne m'intéresse pas de travailler pour quelqu'un qui estime qu'une année sabbatique est un problème. Cela révèle l'étroitesse d'esprit de l'employeur. On oublie trop souvent qu'un employeur ne nous fait pas de cadeau en nous embauchant. Il a besoin de quelqu'un de compétent pour un poste. C'est aussi à l'employé d'évaluer l'employeur », argumente-t-il, inversant ainsi la perspective de l'entretien. « Dans quelle société vivons nous pour devoir 'marketer' tous les aspects de notre vie ? Dans la même logique, devrait-on 'vendre' nos vacances d'été à notre employeur ? »
Il arrive aussi qu'une année au loin soit très bien perçue par son entourage professionnel, avant le départ comme au retour. « J'ai été très encouragée par mes collègues et supérieurs », raconte Lydie, partie en Australie et en Asie avec son compagnon, après un premier CDD. Urbaniste, elle n'a pas eu de peine à valoriser ce périple ensuite, « parce que nous sommes dans un domaine où la curiosité est recherchée et parce que nous avions une première expérience professionnelle qui permettait de rassurer sur nos compétences ».
FAIRE LA DIFFÉRENCE
A son crédit aussi, sa césure fut tout sauf inactive. Elle a travaillé dans l'agriculture pour financer ses déplacements et a tenu un blog « avec une vraie valeur analytique, informative et photographique », faisant le lien entre son domaine professionnel et son expérience de globe-trotteuse. « Nous l'avons, à notre retour, mis en avant sur notre CV, sans honte. Cela a permis aux recruteurs de constater par eux-mêmes que nous avions su prendre du recul sur nos expériences. »
Autres bénéfices de l'année sabbatique, selon Baptiste, ingénieur de recherche à Grenoble : l'apprentissage « d'autres langues et cultures, la simplicité, à se débrouiller avec rien, à s'ouvrir aux autres et vivre avec eux, le sens des valeurs et de l'humain. On s'adapte, décide, relativise, devient autonome, pragmatique… des qualités phares en entreprise. »
Jacques, 28 ans, a deux années sabbatiques au compteur. Durant ses pérégrinations à travers l'Australie, il a été ouvrier, fermier, apiculteur, cuisinier, bûcheron. Mais un CV bien rempli ne marque pas toujours, estime ce chef de projet dans l'informatique : « Les recruteurs cherchent à savoir ce que vous savez faire, dans ce cas, l'année sabbatique n'aide pas. Mais il cherchent aussi à savoir qui vous êtes, et ça, une année sabbatique le révèle et l'enrichit pour toute une vie. »