Porte de Vincennes, « la guerre » pendant quatre heures
Le Monde | 09.01.2015 à 21h17 • Mis à jour le 10.01.2015 à 01h44 | Par Audrey Garric et Damien Leloup

A l'intérieur de l'épicerie Hyper Cacher, Amedy Coulibaly, le principal suspect de la fusillade de Montrouge qui s'est soldée par la mort d'une policière, jeudi 8 janvier, s'est barricadé vers 13 heures avec des otages. Combien ? Personne ne le sait alors précisément.
Lire le portrait : Amedy Coulibaly, de l'espoir de la réinsertion au terrorisme sectaire
« NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, VOTRE FILLE EST EN SÉCURITÉ »
Autour des cordons de CRS, c'est la stupéfaction. Le quartier de la porte de Vincennes est un quartier populaire tranquille. « C'est un quartier très calme, sans problème, raconte Rima, 35 ans. Il y a plein de communautés, arabe, noire, juive, qui vivent ici et s'entendent bien. »
En ce début d'après-midi, le quartier est coupé en deux, puis en quatre, au fur et à mesure que la police étend son dispositif de sécurité. Un cordon sur un pont très passant, au-dessus du périphérique, sépare un père de la crèche où est sa fille. « Impossible de passer monsieur, lui répond une policière, mais ne vous inquiétez pas, votre fille est en sécurité, toutes les écoles et crèches sont bouclées et protégées. » Après quelques minutes de discussion, un agent fait finalement passer le père sous le cordon de sécurité et l'accompagne de l'autre côté.

Juste en-dessous, les hommes du RAID ont pris position, sur le périphérique désert. Ils enfilent calmement cagoules et gilets pare-balles sous le regard de quelques dizaines de curieux et journalistes massés sur le pont. « Sur la vie de ma mère, les flics qui sont arrivés là... que des bêtes de guerre », commente un habitant du quartier. Un peu plus loin, deux jeunes arrivent en scooter et tombent nez à nez avec dix CRS armés. L'un d'eux laisse échapper un « putain », se fait intimer l'ordre de circuler. Le scooter repart lentement par une rue parallèle, le conducteur regardant en arrière.
« JOUEZ LE JEU »
16 heures, les CRS commencent à fairereculer les badauds. Pendant une heure, les cordons de sécurité progressent par à-coups. Le pont sur le périphérique est évacué, voisins et journalistes sont priés de retourner derrière les bâtiments qui font face à l'épicerie.
Méthodiquement, tandis que les sirènes retentissent sur le boulevard, de petits groupes de policiers entrent dans les immeubles qui font face au site de la prise d'otage. Appartement par appartement, ils font redescendre les cameramen et les autres journalistes qui se sont invités chez des habitants du quartier. « Jouez le jeu », s'agace un gradé. « Les gars du RAID ne peuvent pas se déployer si vous diffusez leurs images en direct ». Un peu plus loin, la télévision japonaise installe ses caméras devant un groupe de CRS.
QUATRE EXPLOSIONS, COUPS DE FEU EN RAFALE
Bientôt 17 heures, la nuit commence à tomber. Soudain, quatre explosions. Des coups de feu, en rafale. La police l'annoncera quelques minutes après : Amedy Coulibaly est mort. Des otages sortent, escortés par les policiers. Quatre sont morts, avant l'assaut, et quatre autres blessés, annoncera François Hollande peu avant 20 heures à la télévision.Sa compagne, Hayat Boumeddiene, est « toujours recherché ».
La prise d'otage est finie, mais le quartier restera bloqué. Quelques instants avant l'assaut, le GIGN a abattu les deux auteurs présumés de la tuerie à Charlie Hebdo, retranchés dans un entrepôt à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne).
A Paris, les habitants du quartier de la porte de Vincennes suivent l'intervention en direct sur leurs smartphones. Puis, massés contre les barrières de sécurité, à l'affût de la moindre information et cherchant à voir un bout de la scène, ils s'exclament quand les quatre explosions retentissent, entre peur et excitation.
Sarra et Tony, qui habitent juste de l'autre côté du périphérique, se disent à la fois rassurés et inquiets. «Je suis soulagée que la prise d'otages soit finie. Mais on a peur que d'autres jeunes désœuvrés prennent l'exemple sur les assaillants, racontent les jeunes gens, en regardant une vidéo d'un Français parti faire le djihad en Syrie. Aujourd'hui, c'est ce petit magasin mais demain ça pourra être à Carrefour ou Auchan. ».
Lire le reportage : Après sa journée de cauchemar, Vincennes ne trouve pas les sommeil