Peut-on gagner à la fois les JO d’hiver et d’été ?
Dans l’histoire du sport d’après-guerre, seulement trois sportives ont réussi l'exploit de monter sur un podium olympique à la fois en hiver et en été, sans toutefois remporter les titres à ces deux occasions : les patineuses de vitesse et cyclistes Christa Luding (en 1984 et 1988) et Clara Hughes (entre 1996 et 2010), rejointes par l'ancienne sprinteuse Lauryn Williams et sa médaille d’argent en bobsleigh à Sotchi, deux ans après l'or au relais 4x100 m. Avant de présenter les secrets de la reconversion de Williams dans un entretien avec le préparateur physique Stuart McMillan pour le prochain post de blog, j’ai interrogé ces trois championnes d’exception. Est-il possible de gagner des médailles d’or à la fois aux JO d’hiver et d’été ? Luding, Hughes et Williams donnent leurs points de vue et pèsent le pour et le contre en racontant leur expérience personnelle.
Le doublé, c’est pour bientôt
Bien qu’ils se pratiquent dans des conditions différentes – sur glace, tartan ou bois, sous la chaleur ou le froid – certains sports d’hiver et d’été exigent des qualités physiques similaires. « Le patineur de vitesse ressemble beaucoup au cycliste sur piste, par sa position de course, son activité musculaire et sa faculté de réaction », explique Christa Rothenburger-Luding, fleuron du sport Est-allemand des années 80. « C’est sur une patinoire qu’un entraîneur de cyclisme m’a repérée et m’a invitée à un stage », se souvient la Canadienne Clara Hughes, 18 ans à l’époque, qui deviendra plus tard médaillée de bronze en vélo sur route et au contre-la-montre aux Jeux d’été de 1996 avant de prendre l’or, l’argent et le bronze en patinage aux Jeux d’hiver de 2002, 2006 et 2010. Lauryn Williams n’avait pas fait le rapprochement entre sprint et bobsleigh avant de rencontrer McMillan en juillet dernier pour récupérer d’une blessure à la cuisse. À 30 ans et après avoir passé la moitié de sa vie sur les pistes d’athlétisme, l’Américaine a pu entamer une nouvelle carrière.
Son exemple devrait inciter d’autres athlètes à tenter l’aventure. « De plus en plus d’athlètes vont s’essayer aux sports d’hiver », espère Williams. « J’aime le cliché qui dit que les records sont faits pour être battus. L’histoire continuera avec des performances extraordinaires. Je voudrais que grâce à moi, les gens se lancent dans un sport en se disant Je participe et on verra que ça donne ! » Logiquement, les Jeux finiront par voir un sportif réussir le fameux doublé. Selon Clara Hugues, cela pourrait se produire en 2018 lors de la prochaine édition à Pyeongchang. « Il faut s’attendre à ce que cela arrive, certaines fédérations de bob ont changé leurs méthodes de recrutement et vont directement chercher les talents en athlétisme. »
D’ailleurs, les entraînements se rejoignent. Luding y voit même une complémentarité : « La préparation pour le patinage de vitesse s’effectue l’été, et le cyclisme était pour nous le moyen idéal de développer l’endurance de base ». Et développer aussi la vitesse. « À cette période, on a aussi besoin d’un pic de forme, donc pour simuler le sprint sur glace, des tests courts de 2 x 500 m et 1000 m à vélo ont été organisés à partir de 1977. » Deux ans plus tard, la patineuse de 19 ans s’inscrit à ses premiers championnats de la RDA et par la suite gagnera sur les vélodromes un total de 16 titres nationaux. Pourtant, la championne olympique 1984 de 500 m sur glace devra attendre 1986 pour recevoir l’autorisation officielle du ministre des sports afin de participer au mondial de cyclisme sur piste, où elle remporte l’épreuve de sprint. « Cette préparation estivale intensive m’a permis de me sentir de mieux en mieux l’hiver sur les patins. » Clara Hughes a aussi profité de la correspondance entre ces deux sports : « J’ai fait des tonnes de vélo pour m’améliorer en patinage. Je gagnais partout et les deux fédérations me soutenaient. »
Ce sera de plus en plus difficile
Pourtant, la Canadienne s’épuise peu à peu à courir deux lièvres. Découverte sur la glace, Hughes est donc obligée de se concentrer sur le cyclisme avant de rechausser les patins à 28 ans et de se remettre en selle à 38 ans. La double charge de travail n’est pas le seul frein à ce qu’un sportif décroche l’or aux deux JO. Le fait que deux disciplines soient complémentaires ne les rend pas nécessairement compatibles. Christa Luding en a fait l’expérience aux Jeux d’été de 1988, quelques mois après son titre hivernal sur 1000 m. Si le cyclisme a aidé son patinage, la réciproque ne s’est pas vérifiée : « Mon entraînement pour le vélo était différent de celui des cyclistes purs, j’avais moins de temps pour me préparer que les autres. Il me manquait la technique et surtout la tactique. » De fait, à Séoul, l’Allemande de l’Est se fait déborder par la stratège soviétique Erika Salumäe. « Aujourd’hui, la spécialisation dans chaque sport est tellement avancée qu’il me parait de plus en plus improbable de réaliser un doublé. »
Clara Hughes, spécialiste des longues distances sur glace a noté des changements physiologiques durant sa carrière : « Même le 5000 m en patinage est purement anaérobique, c’est du sprint ! En tant que cycliste, j’étais un vrai diesel. Quand je suis revenue sur la glace, mon rythme cardiaque au repos était juste en dessous de 50 pulsations par minute, alors qu'à mon retour sur la route, il est redescendu à 35 au bout de quelques mois. » Au cours de sa reconversion, Williams a bien sûr dû prendre les quelques kilos qu’elle s’interdisait en tant qu’athlète, mais ce n’était évidemment pas le plus difficile… « Il a fallu que j’apprenne à travailler en groupe et à me plier à un calendrier commun, sans pouvoir planifier au jour le jour comme avant, selon mon état de forme du moment ». Hughes a aussi dû s’adapter à une nouvelle organisation, d’une discipline à l’autre. « Quand on patine, c’est en équipe et en permanence sous les ordres d’un coach, alors qu’en cyclisme, on passe son temps tout seul sur un vélo, c’est plus individuel ».
Alors, malgré ces difficultés, d’où pourra provenir l’exploit ? Des Pays-Bas, quand l’un des patineurs « oranje » se mettra sérieusement en selle, ou bien de Jamaïque, si jamais Rasta Rockett enrôle Asafa Powell et Shelly-Ann Fraser-Pryce pour pousser le bobsleigh ?
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