Le rendez-vous
Demain. De-main. Deux Mains.
A chaque tour de roue il scande les deux syllabes. Chaque tour de roue le rapproche de « demain ». Le cabanon aux volets bleus, isolé au milieu du lac est là, à quelques tours de roue, déjà à portée du regard intérieur. Il l’imagine comme il l’a si souvent imaginée.
Comme elle le lui a décrit rêve après rêve.
Comme il l’a retrouvée finalement, vie après vie.
Il braque. Un serpent ondule sur le chemin de terre, semblant flotter dans une poussière nacrée. Il l’évite. Sans peur.
De-main. De-main. Deux-mains et vous serez dans mes bras.
Encore quelques tours de roue, quelques heures et ce sera demain et puis le chemin empruntera la digue et au bout de la digue, le cabanon.
Et elle, sur la balancelle en corde qu’il avait tressée pour elle dans une autre vie.
Une fois tous les mille ans, ils avaient ce rendez-vous. Mille ans. C’était sans doute exagéré car d’où l’on vient le temps n’existe pas. Chaque fois leur aspect était différent mais leurs âmes se reconnaissaient. Aussi était-il bien excité de la revoir sous sa nouvelle apparence. Une autre femme et pourtant la même.
Elle.
Toutes les histoires non racontées remplissaient les marges de leur vie en pointillé. Et toute la beauté du monde s’invitait toujours à leurs retrouvailles.
Mais il était las de ces séparations qui survenaient comme autant de sortilèges maléfiques.
De-main. De-main. De-main. Deux mains et vous serez mienne et je vous dirai et vous m’emplirez de votre joie satin, de vos caresses qui font pâlir d’envie toutes les soieries du monde.
Oui, il lui dira : « Cette fois c’est la bonne. Nous ne nous quitterons plus jamais ». Et elle le regardera avec cette lumière dans lesyeux qui lui permettait de la reconnaître entre toutes. Toujours ce même éclat. Il oubliait que c’était chaque fois la même chose, qu’il lui disait cela et pourtant, le maléfice s’acharnait. Quelle faute avaient-ils donc commis à l’origine des temps ? Et envers qui, quoi ? Au fil des millénaires, ils avaient appris à aimer mains ouvertes, à dépasser toute notion de possessivité. A aimer au-delà de l’amour.
La seule chose qui leur importait, c’était d’être à nouveau noués en un seul être. Comme à l’aube de leur création. C’était cette nécessité qui les contraignait à revenir sans fin dans le cycle des vies.
Le cabanon, au milieu du lac, tout au bout de la digue était le seul élément qui leur était donné au cours de leurs renaissances avec ce désir inexplicable de s’y rendre et la détermination de se rejoindre. Et encore, ce cabanon était-il blotti dans le pays invisible.
« Tout cela, c’est dans ta tête ! » disaient les esprits contrariants. Pour comprendre l’Amour, celui qui est au-delà de l’amour, il faut le vivre. Seuls de rares initiés ont accès à cette fréquence impalpable et incompréhensible du commun des mortels.
Eux.
Les Immortels.
Ils savent ce qu’ils sentent dans les fibres de leurs innombrables enveloppes corporelles.
De-main.
Et puis. Demain c’est aujourd’hui. Le vélo est à terre, une roue encore tourne dans le vide comme pour atteindre un pays plus intérieur…
Il la prend dans ses bras.
Puis ils referment les volets bleus…
©Mahia Alonso