L’alouette est sur la branche…
Gil Jouanard
Sans doute l’oiseau doit-il au fait que son mode de communication, sinon d’expression, donne toutes les apparences d’un chant sa présence si fréquente et si remarquable dans la musique, de Janequin à Messiaen en passant par Beethoven, Schubert et des centaines d’autres grands compositeurs, sans parler du répertoire populaire de toutes les nations et de toutes les cultures.
Parmi les inattendues divas du genre, le coucou tient le haut du perchoir, que l’on retrouve aussi bien au cœur de la Renaissance qu’au summum du postromantisme et du Romantisme. Il est également omniprésent des Balkans à la Péninsule Ibérique et de l’Ile de Bretagne aux Tatras.
La seule France, outre ses anthologies médiévales et renaissantes de « chants d’oiseaux » (à commencer par la Lauzette de Bernard de Ventadour, qu’on n’entend pas dans son chant, lequel lui est pourtant si joliment consacré, compte des évocations, sonores ou prosodiques, de l’alouette, du coucou bien sûr, du rossignol, de la fauvette, de la tourterelle.
Constatons à ce propos que, à défaut de faire entendre de savantes imitations de leur chant, certains compositeurs privilégient l’évocation des hôtes de ces bois et de ces champs : De la corneille (Die Krähe) de Franz Schubert à la tourterelle de Berlioz, l’oiseau tient le rôle du personnage principal de mélodies de haut vol.
Et l’on ne saurait faire l’inventaire des coucous, des rossignols (souvent appelés « rossignolet »), des alouettes, des pies, des corbeaux, des tourterelles, des hiboux, des cailles même, qui donnent à notre folklore national des faux airs de volière.
« O caille, belle caille, où est donc ton nid ? » ; « Au chant de l’alouette, je veille, je dors ; /J’écoute l’alouette et puis je m’endors » ; « L’alouette est sur la branche, l’alouette est sur la branche ; /Fais trois petits sauts, l’alouette, l’alouette, /Fais trois petits sauts, l’alouette, comme il faut » ; « Dans la forêt lointaine, on entend le hibou… » ; « Qui veut ouïr chanson, chansonnette nouvelle, /Chante rossignolet » ; « Le rossignol y chante, et le jour et la nuit » ; « Ah si j’étais p’tit’alouette blanche » ; « J’entends la chanson sereine du rossignolet joli »…On en fredonnerait dix, cent autres, du Berry et de Bretagne, du Dauphiné et de Provence, d’Ile-de-France et de Picardie. Ils sont partout, dans le jardin d’mon père, au bois joli (et même au bois rossignolet), par la fenêtre ouverte, par les champs et dans les prés, au fond des vallons, sur le plus haute montagne, loin sur la mer jolie, au bord de la rivière où l’on s’y va promener, au cœur même de ma belle, là où fleurit aussi un laurier ou un rosier. Ils nous assistent avec compassion quand nous pleurons pour la belle Sylvie. Et en mai le merle moqueur vient nous rappeler la blessure d’amour que nous portons au cœur.
On les entend durant un mouvement entier de la Pastorale, dans plusieurs lieder de Schubert, musicien des eaux et forêts, mais aussi chez Vivaldi, chez Mozart même, et ne parlons pas de Couperin ou de Rameau (qui pousse l’harmonie ornitophonique jusque dans le poulailler où on ne songerait guère à l’aller quérir). Et ne l’entendez-vous pas le merle moqueur de Jean-Baptiste Clément ? Ne les entendez-vous pas les oiseaux dans la charmille de Jacques Offenbach ? Et Le rossignol en amour du grand Couperin, ou ses Fauvettes plaintives, sa Linotte effarouchée, son rossignol vainqueur, ses…coucous bénévoles (sic), ou encore le coucou de D’Aquin, le rappel des oiseaux de Jean-Philippe Rameau, Les colombes de Duphly, le Concert des oiseaux de D’Andrieu ? Et ne les voyez-vous pas, ces trois corbeaux mortifères du sublime Three ravens, anonyme chant de l’Angleterre du temps de Dowland ? Et L’alouette de Haydn, et celle de la tradition magyare, roumaine et tzigane ?
Mais le grand maître oiseleur n’est autre que Clément Janequin, génial interprète des bruits de la nature comme de ceux de la bataille.
Comme chantait le vulgaire comique troupier Ouvrard, Si j’avais des ouè, si j’avais des ouè, si j’avais des ouè-èè-elles, alors, comme la belle éplorée dont l’amant est parti en mer, je m’en irais sur le mât des navires, là-bas, dessur la mer jolie. Et je dirais en mon ramage que l’amour est toujours malheureux. Car Les chants tristes sont les chants les plus beaux, et que celui de l’oiseau est tout plein de mélancolie.
Notre engouement pour l’oisellerie est d’autant plus étrange que nous ne descendons pas de l’oiseau, qui descend lui-même de l’Archéoptérix primaire non évolué, mais plutôt de la musaraigne. Il est vrai que nous venons, eux et nous et tout ce qui bouge sur la terre, dans la mer et dans le ciel, du poisson, lequel risque bien d’avoir pour ancêtre l’éponge, à ce que disent les spécialistes de la vie terrestre.
Mais à ce stade, on reste muet comme une carpe, et ma chanson s’arrête là.
G.J