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La radio, il faut que cela continue d’existerThere are no translations available.
CHRISTINE GOÉMÉ Productrice sur France-Culture (2) : « La radio, il faut que cela continue d’exister et même que cela s’élargisse, mais pas du coté de l’image ! » La cuisine de Christine Goémé est une cuisine de poupée. Comme toutes les petites surfaces devant servir, elle est conçue intelligemment, de façon à ce qu’on ait tout le nécessaire sous la main. Y trône en place de choix la radio. Et Christine peut à loisir y éplucher ses patates, sa cuisine devient alors une annexe non seulement de France-Culture, mais de tout autre site émetteur des émissions qu’elle a envie de suivre : « Parce qu’on peut écouter sa radio n’importe où. Et même en épluchant ses légumes, ce que je fais moi par exemple. Ça a l’avantage de ne pas fixer les gens. Tandis qu’à la télé… En fait dès que tu as de l’image, tu es quand même obligée de regarder. Donc tu arrêtes ce que tu étais en train de faire. Alors que la radio, c’est un espace de liberté pour les auditeurs et pour tout le monde : pour ceux qui la font, pour ceux qui l’écoutent… C’est comme une conversation. Je parle à des gens, et il y a des gens qui me parlent d’une certaine manière… J’écoute beaucoup la radio. Parfois je râle après l’intervieweur, et parfois je me dis : Ah c’est génial c’est exactement ce qu’il fallait demander ! À la radio on est dans un dialogue permanent. » La semaine dernière, Christine Goémé nous confiait ses débuts sur les ondes, évoquant les fondateurs de France-Culture, et cette belle aventure que reste la radio. Mais en quoi consiste le métier de producteur et en l’occurrence, de productrice de radio ? « Produire des émissions, cela consiste à avoir des idées. D’ailleurs ce que j’aime beaucoup dans ce métier, c’est de les mettre en pratique : dès qu’on a une idée, on peut la concrétiser. Je suis le contraire d’une rêveuse et je pense que les gens de radio ne sont pas des rêveurs. Ce ne sont pas des gens qui vont s’imaginer qu’ils vont faire telle et telle chose : ils ont une idée et ils la réalisent voilà. Donc ce métier consiste à avoir une idée, à savoir comment on peut l’élaborer ; vérifier si c’est intéressant(ou pas) et ensuite il faut la vendre à une radio. Au fond, c’est juste ça, on vend une idée et sa réalisation à une radio. Donc en l’occurrence pour moi, France Culture. » La radio reste toujours une aventure.- Partir d’une idée, ce champ libre, où tout s’avère possible, pour Christine Goémé c’est encore et toujours l’aventure. « C’est exact, j’ai toujours pris au pied de la lettre le fait que ce soit une aventure. On va réfléchir à la manière dont on peut construire une émission. La radio, c’est une occupation du temps. Tu proposes une idée, ensuite tu vends cette idée à une chaîne et elle te propose un temps donné. Alors on te dit : cette idée nous intéresse, on la prend et on commande une série de vingt fois un quart d’heure, ou deux fois une heure ou encore cent fois cent minutes… Et avec ça, il faut se débrouiller c’est-à-dire : qu’est-ce qu’on peut faire dans ce temps donné. » Pas de routine, alors ? Ce métier exige une constante remise en question, un incessant travail de la matière grise, le contraire d’une activité « cool » comme on dit aujourd’hui. Finalement, il faut toujours convaincre pour pouvoir mettre en œuvre… «Il faut bien entendu que la chaîne soit d’accord, qu’elle achète ton idée mais elle peut te proposer autre chose ; ça se discute. Ça peut arriver, mais c’est rare, que tu arrives avec une idée, et qu’on te dise : c’est bien allez-y, carte blanche… Grosso modo, la production, ça consiste à remplir un temps de parole et de son, avec une idée précise, soit qu’on t’achète, soit que tu vends…» Je suis une sorte de passerelle Donc ce n’est pas vraiment du journalisme… « Non, ce n’est pas à proprement parlé du journalisme ce que nous faisons. D’abord le journaliste a tendance à se substituer à l’auteur ou à l’inventeur… C’est un des dangers. À la radio jamais : c’est le type qui sait qui cause. Nous, les producteurs, on est plutôt des passoires. Moi, je me vis comme une passoire en quelque sorte. Je suis là pour établir des ponts entre une personne, un sujet, une question etc. et les gens qui écoutent. Je suis une sorte de lien, de passerelle. Quand on fait de la radio on n’est pas dans le narcissisme. Sinon on est foutu, on s’écoute parler… » Son credo n’est pas partagé par tous de nos jours : « Malheureusement aujourd’hui, il y en a beaucoup qui s’écoutent parler. C’est un gros problème. Un vrai homme ou une vraie femme de radio laisse son « moi » au vestiaire avant d’entrer au studio sinon ce n’est pas possible. On doit incarner au maximum les auditeurs. On doit être l’oreille de l’auditeur, la question de l’auditeur. » Parce que, produire une émission, la présenter c’est ouvrir des possibles. C’est engendrer du dialogue. Christine Goémé revient inlassablement sur cet aspect de la radio : « Une évidence pour moi, avec des auditeurs, il y a un échange, ils ne sont pas passifs dans leur écoute. Et en même temps on est tenu par eux, on travaille pour eux et avec eux, on est une de leurs voix possibles. Au fond, on est au service d’une parole et d’une écoute de cette parole. » Pour en revenir au point de départ d’une émission, elle précise : « La question ce n’est pas d’être l’émetteur de l’idée ; mais c’est : est-ce que l’idée est bonne ? D’où qu’elle vienne. C’est un travail de circulation de la parole. La parole des autres, la tienne… C’est aussi un travail d’irrigation. C’est comme la circulation sanguine. Pour que le corps social puisse vivre, il faut de la parole. Et pour que la parole circule, il faut la radio. C’est ce qui irrigue la pensée, la vie même. C’est ça qui est merveilleux. Alors parfois tu apportes tes idées ; d’autre fois on te les apporte… Tu peux te trouver à table avec de la famille ; quelqu’un dit quelque chose et toi tu penses tout de suite « voilà, ça, c’est formidable » … tu saisis au vol une idée… La circulation sanguine, les nerfs de la parole…c’est le corps même de la parole celui qui doit circuler au maximum. » Silence puis, un sourire rêveur lui effleure le visage : « La radio c’est ça, c’est merveilleux. » On le sent, pour Christine Goémé, la radio, c’est quasiment un sacerdoce. C’est du sacré. Elle répète : "La radio c’est un instrument qui prend la parole au sérieux." Le mot a la parole La parole, c’est le sang de la radio : « Le choix des mots n’est jamais simple. Le français est une langue qui me pose des difficultés permanentes. J’adore cette langue parce que je la trouve compliquée… Complexe… Elle requiert à chaque fois une attention particulière. Comment tu accordes un temps, etc. En fait tu as un rapport à la langue qui n’est jamais évident. C’est une des choses les plus importantes : comment choisir le mot le plus adéquat, le plus juste, la phrase la plus fluide possible, la plus serrée… » Oui mais, et la spontanéité dans toute cette élaboration ? « La spontanéité ça se travaille. Tu dois façonner en permanence ta subjectivité pour que ta spontanéité devienne la plus élaborée possible. C’est un Working progress. La spontanéité, tu n’es pas née avec ! Ce n’est pas la nature, la spontanéité. C’est plutôt un mouvement, un élan du cœur, du corps, de la voix, de la personne, mais qui est issu d’un travail sur soi-même. « Il faut sortir du rang des meurtriers » disait Kafka. La spontanéité c’est quelque chose que tu fabriques. Cela demande de gros efforts. Devenir un être doué de langage n’est pas quelque chose d’évident. » Le Collège de France : au cœur de la recherche En trente cinq ans, Christine Goémé dit avoir tout fait à la radio : du direct, du différé, des remplacements de dernière minute, des chroniques, des émissions qui duraient dix heures ou trois minutes : « Je ne vois pas très bien ce que je n’ai pas fait ! » Elle rit. Presqu’étonnée d’elle-même. Aujourd’hui elle travaille chez elle parce que c’est le sujet de son émission qui le permet. Il s’agit des cours du Collège de France diffusé dans « L’Eloge du savoir » : «C’est l’émission qui veut ça ; moi je suis au service de l’émission. » Les cours du Collège de France sont préenregistrées. « Le Collège de France, c’est une institution très particulière ; on y enseigne la recherche qui est en train de se faire. J’ai quelque fois des surprises à force d’écouter mes savants… Il m’arrive de me dire en écoutant quelque chose : mais où ils ont pêché ça ? Ça date de cent ans en arrière ! Quand tu es dans le savoir tout frais tout neuf qui vient de sortir, tu te dis mais non ça fais vingt ans qu’on ne pense plus ça ! Quelquefois tu entends des absurdités dites même par des gens très cultivés…. Et puis, le Collège de France à des proximités avec France Culture : c’est ouvert à tout le monde. C’est le désir qui te conduit au Collège de France. J’ai envie de savoir par exemple comment la Bible a été écrite, eh bien il y a un cours au Collège de France pour te le dire. Tu veux savoir qu’est-ce qui compose le fonds magnifique de la poésie japonaise, tu as un cours au Collège de France ! Le Collège de France crée des chaires en fonction des gens. C’est-à-dire que tu arrives toi, avec une recherche un peu atypique, par rapport à la recherche universitaire, et hop on crée une chaire pour cette recherche. Tu ne remplis pas une case, c’est toi qui fabriques ta propre case. À la radio c’est pareil. Il n’y a aucune espèce de limite. Avec le collège de France, je suis ravie, j’apprends plein de choses et j’espère que les auditeurs aussi. Comme je présente des cours, la diffusion est quotidienne, du lundi au vendredi pendant une heure. Chaque jour je reprends la synthèse de ce qui a été dit la veille afin que l’auditeur puisse prendre l’émission en cours de diffusion ; dire quel est le professeur qui parle ; ce qu’il a dit précédemment, l’intérêt du sujet etc. Je présente cela comme un suspense du savoir. Un bon savant mais aussi un homme de radio à peu près convenable, c’est quelqu’un qui ressemble plus à Sherlock Holmes qu’à un écrivain. Moi je me sens plutôt du côté de l’enquête. Je me sens plus proche du roman policier quand je travaille que de James Joyce, évidemment. Il y a des moments, c’est palpitant, qu’est-ce qui va se passer … il faut créer une tension et puis transmettre cette tension que tu dois éprouver toi-même. Si tu ne l’éprouves pas, ça s’entend tout de suite. » Les Radiophonies C’est donc, d’une certaine manière une écriture, radiophonique certes, mais une écriture. Quels points communs ou quelles divergences avec l’écriture d’un livre ? « Si tu écris (un livre) en pensant à tes lecteurs, ça ne marche pas parce que tu ne peux pas écrire pour des gens. Il faut que tu écrives pour la langue elle-même. Tu es prié au fond d’être au service des langues qui t’adviennent. Alors que la radio c’est quand même un petit peu différent. Pour ma part, j’aime beaucoup la fiction. Je m’en occupe pas mal à la Société des Gens de Lettres et aux Radiophonies. La différence entre un livre et une pièce radiophonique, c’est le travail de la voix. La radio, c’est un support. Comme le papier. La voix donne un corps particulier au texte. Le livre, pour chaque lecteur, c’est une auberge espagnole mais la radio pas vraiment. Quand tu lis un livre, tu es seul. Quand tu écoutes une pièce, il y a l’interlocuteur, le producteur, et puis toi : on est déjà au moins trois. Il y a une conversation, un échange. Quand tu lis, il n’y a pas de circulation. L’auditeur est avec le producteur, il est son invité. Quand j’écoute la radio dans ma cuisine, l’interviewer est là, il est présent près de moi ! Tu es dans la surprise permanente. Soudain tu entends une parole… Quand tu lis, tu n’as pas l’écrivain avec toi. » Christine Goémé préside les Radiophonies. Il s’agit d’un festival fondé en 2002 par Yves Gerbaulet, qui écrit pour la radio. Ce festival unique en son genre est né grâce au soutien financier de la SACD et l'aide logistique de France Culture et de Radio France. Depuis 2004, les aides conjointes de la SACD, du Ministère de la Culture, de l'ADAMI, puis de l'Organisation Internationale de la Francophonie et de la Mairie de Paris ont permis au festival de s'ouvrir aux œuvres des autres pays francophones et aux radios associatives. Il se déroule à Paris pendant trois jours (en septembre) et permet d’écouter gratuitement et dans le noir de véritables films sonores (sans images donc, de 4 minutes à 1h34) confortablement installé dans un fauteuil et d’assister à des rencontres autour de la radiophonie. De prestigieuses personnalités parrainent le festival, ainsi l’académicien René de Obaldia (notre photo). « Yves Gerbaulet a eu la bonne idée d’organiser chaque année ce festival d’écoute qui prouve que des gens peuvent rester installés dans une salle pendant des journées entières, dans le noir, à écouter de la radio. » Christine Goémé est également présidente de la commission radiophonie à la SDGL : « Cela consiste à créer des possibilités pour les écrivains de fiction radiophonique. C’est paradoxal, on se disait l’autre jour avec les gens de la commission, on est en pleine crise économique, il n’y a pas de boulot, tout le monde te bassine avec la télé au détriment de la radio et pourtant on n’a jamais eu autant de créateurs indépendants qui créent et écrivent pour la radio… Ça attire la jeunesse parce que c’est un lieu d’aventure. » Et des projets, Christine Goémé ? « Moi je vis au jour le jour. Je ne fais pas de projet. De toute façon on va changer de directeur… après les élections. Il va y avoir une nouvelle équipe … On verra bien. Pour l’heure, je suis plutôt contente. Tout va bien. Je trouve que j’ai beaucoup de chance. Il faut juste être conscient des limites, des pièges qui peuvent guetter la radio aujourd’hui, il ne faut pas tomber dedans. Mais cela reste un instrument absolument privilégié pour absolument tout. » Propos recueillis par Mahia Alonso
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