La politique du sein : Amina et Nabila
Amina reste en prison. Le 30 mai, les juges l'ont condamnée à 300 dinars pour possession d'engin incendiaire (un spray d'autodéfense!), mais, coup de théâtre, ont aussi décidés de l'inculper pour: «profanation de cimetière, atteinte aux bonnes mœurs et complicité avec une association de malfaiteurs». Elle risque entre 6 mois et 6 ans de prison.
La veille, les salafistes et djihadistes qui avaient attaqué l'ambassade américaine de Tunis en septembre 2012 ont «pris» deux ans avec sursis.
Dans la foule massée devant le palais de justice qui scandait de doux slogans tel que «nous voulons l'application de la charia» (soit, pour ce cas précis, la lapidation) se trouvait Seifeddine Raïs, le porte parole d'Ansar al Charia; ce sympathique personnage était relâché le jour même ou Amina était arrêtée. Il avait appelé au rassemblement à Kairouan de 40 000 djihadistes.
(Ce rassemblement avait finalement été interdit par le pouvoir).
Rappelons qu'Amina est une jeune fille de 20 ans, membre du réseau féministe Femen. Voilà ce qu'elle a fait pour déclencher tant de haine et d'acharnement de la part du pouvoir tunisien et d'une partie de ses compatriotes :
Elle a refusé d'admettre qu'elle était folle, comme ont essayé de le faire croire les autorités tunisiennes, aidés en cela par sa propre mère. Elle est une féministe radicale dans une société conservatrice, une insoumise.
Ce qu'elle n'est pas, pas plus que les Femens européennes, c'est une dangereuse extrémiste.
En France, les Femens commencent a être sérieusement attaquées. On les attaques sur leur financement (opaque), sur leur méthode (extrême), sur leur "inutile provocation". Elles «offenseraient» des gens.
Évidemment qu'elles offensent des gens, qu'elle provoquent. C'est le but. Porter une pancarte «mon corps est à moi» ne va pas interpeller les gens, les médias. Servez vous de vos seins comme support, tout de suite l'intérêt est piqué. Mais comment osent-elles se servir de leurs seins comme objet politique?!
Comment osent-elles attaquer la religion catholique? Cette vénérable institution qui a tant fait pour l'égalité des sexes.
Les Femens tapent là où ça fait mal. Elles s'attaquent directement aux fondements du machisme institutionnalisé: la religion (les religions d'ailleurs), et l'économique.
Que les femmes montrent leur seins pour faire vendre du papier et se vendre elles mêmes, aucun problème. Qu'elles les montrent pour établir clairement, dans un acte concret, que leur corps n'appartient ni à la société, ni à une doctrine religieuse, et c'est la condamnation moralisatrice. Les seins des femmes doivent être sexualisés, et vendeurs, ou cachés. Ça ne vous rappelle pas le complexe de la pute et la madonne? Ou alors cela:
Quand Nabila montre ses seins, personne n'y trouve à redire. On entend ici et là qu'une jeune fille ayant tant de lacunes culturelles ne devrait peut-être pas être une icône, mais qu'elle s'affiche sur le web, dans les kiosques, à la télé et dans la rue ainsi:
Cela ne pose pas de problème à ceux qui descendent les Femens en flèche.
Il faut croire que ce n'est pas les seins qui posent un problème. Ce sont des seins qui ne seraient pas sexualisés dans une optique commerciale.
Les Femens sont provocatrices, mais tous les combats l'ont été à leur commencement.
On les désapprouve car elles ne sont pas de gentilles filles, de douces et féminines féministes. Ce sont des radicales. Et ce qui arrive à Amina, les réactions outragées en France vis à vis de ce réseau montre que leur combat ne porte pas sur des points accessoires et triviaux, mais qu'il se situe au centre même de la revendication première du féminisme: Les femmes ne sont pas des objets sexuels pour les hommes!
Lucie