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Eh oui, la guerre sévit, les colères grondent et les «raisins de la colère» murissent vitesse grand V, mais dans le monde émergent des libertés nouvelles et j’ai envie de vous dire que la beauté et la tendresse toujours peuvent nous bercer, avec la force et la joie, regardez cette vidéo et laissez-vous porter par la douceur d’un monde originel, le nôtre que nous prenons si peu le temps d’aimer…


 

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L'érotisme dans un journal sérieux ?

Certainement, car la sexualité fait autant tourner le monde que l'économie.

Nouvelles, grands classiques de la littérature, mais aussi reportages et web-expos, vous êtes sur le seuil de notre rubrique lubrique.

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Tu me voulais tienne, je me suis voulue soumise

Par Marie Panon

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Diabète Mag N°17

Le N°17, Vient de paraître
Chez votre Marchand de Journaux

Codif : L13013

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Prévenir, Comprendre, et Mieux vivre avec le Diabète

 

Au sommaire vous trouverez :

- Diabète : la fin d’un mythe

- Cholestérol - Diabète et les margarines

- Le Chrome limite de stockage des sucres

- Les complications du Diabète

- seul face à un infarctus

– comprendre l’anévrisme

- l’utilisation de la «metformine»

- Le matériel de sport au domicile

- Desserts allégés

- Gros dossier: Mincir de plaisir, des menus type.

- Quiches light – sauces allégées – saveurs de la mer 

- le lait végétal – les confipotes à faire

Nutrition :

-       le foie, source de fer – tout sur la moutarde

-       Fruits et légumes d’automne

-       Les vertus des baies de Goji

Un N° 17, Complet, pour une vie pleine de bonnes résolutions.

DIABETE MAGAZINE , chez votre marchand de journaux.

Inclus: Le Diabétique Gourmand, des recettes goûteuses et light.

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Camus à « Combat » : entre morale et politique

camus« L’esprit a toujours du retard sur le monde. L’histoire court pendant que l’esprit médite. » (Albert Camus)

 

« La flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas »

(Charles de Gaulle)

 

« Lancer un journal, ce n’est pas une petite affaire »

(Philippe Gavi)

 

« « Il faut rêver ! » J’écris ces mots et, tout à coup, je prends peur. »

(Lénine « Que faire ? »)       

 « Le propos de cet essai est une fois de plus d’accepter la réalité du moment qui est le crime logique, et d’en examiner précisément les justifications : ceci est un effort pour comprendre mon moment[1] ». Telle est, dès la première page, la manière dont Albert Camus définit le projet de « L’Homme révolté ». Mais comme le signale l’expression « une fois de plus » ce n’est pas la première fois qu’il essaie de comprendre « son temps » ou son « moment ». De fait, dès son premier essai en 1942, « Le Mythe de Sisyphe », il est entré dans le vif du sujet en posant une question à la fois semblable et différente, sur le suicide cette fois et non plus sur



[1] “L’homme révolté” in Oeuvres complètes, t.I, Paris, Gallimard, coll. Bibiothèque de la Pléiade, indrod., p. 413.

le meurtre : « Y-a-t-il une logique jusque dans la mort[1] ? »  Ou encore, plus précisément : « L’absurde commande-t-il la mort, il faut donner à ce problème le pas sur les autres[2]. »

Nous avons un urgent besoin de sortir de la position du spectateur pétrifié et de penser debout notre “moment”. Le moment de Camus est encore le nôtre. Pour le dire plus précisément, ce ne sont pas seulement des faits mais bien des problèmes posés par Camus qui retrouvent aujourd’hui, à travers des ruptures et des métamorphoses qui en changent la signification (de l’absurde ou de l’existence au vivant), une actualité saisissante. C’est une raison de plus d’y revenir. Il a pu sembler parfois à certains qu’en définissant ce moment par l’absurde (et ses conséquences), la révolte (et ses conséquences), "Je cherche à légitimer ma révolte que, jusqu’ici, rien, dans les faits, n’est venu fonder"[3] Camus avait, certes, touché au cœur des préoccupations historiques, morales, existentielles même de ses contemporains, mais en aurait manqué les enjeux proprement philosophiques, supposés plus profonds, concernant non pas l’absurde, mais la contingence et l’existence, non pas la révolte, mais la révolution et l’histoire. On tentera de montrer qu’il n’en est rien, et que la pensée commandée par la problématique ici posée touche de plein droit au problème philosophique central et commun du moment de la Seconde Guerre mondiale. Le reportage d’idées de Camus n’est pas moins philosophique que la position des autres pensées de l’existence, de Sartre et de Merleau-Ponty notamment, même si elle l’est autrement  et se déploie, autant et plus que les autres, à part égale en philosophie (ou dans des « essais ») et en littérature (romans, récits, théâtre), voire même en journalisme[4].

Qui mieux qu’Albert Camus illustre cette exigence contemporaine de révolte et de résistance ? Leçons de liberté, ses éditoriaux dans « Combat », le journal de la Résistance, s’adresse aux Français des années 1944-1945 nourris de force aux messages manipulations de la presse collaborationniste. Le chemin de la libération du pays passe par la libération des consciences et du sens critique. Face à l’angoisse que distille les journaux, Camus oppose l’action et la morale[5].  Dans son éditorial dans « Combat » du 30 août 1945 sur la question délicate de l’épuration dans la presse à la Libération où il s’oppose à François Mauriac, il pose bien le défi paradoxal du « reportage d’idées » pris par l’urgence et la frénésie quotidienne du bouclage rédactionnel : « Mais les conditions du journalisme ne se prêtent pas toujours à la réflexion. Les journalistes font ce qu’ils peuvent et s’ils échouent fatalement, ils peuvent du moins lancer quelques idées en l’air que d’autres rendront plus  efficaces.[6]»

Parmi les vedettes du grand reportage  d’avant guerre, note Marc Martin[7], peu ont été frappées par l’épuration car elles étaient moins exposées que les éditorialistes qui, bien sûr, ne pouvaient guère cachées leurs idées et leurs idéologies à travers leurs propos. C’est à ce titre qu’Henri Béraud a été condamné à mort, peine commuée en travaux forcés qu’il a accomplis à l’île de Ré, tout près de ses « Trois Bicoques » avant d’être libéré, très malade, en l950 et de mourir en l958.

Collaboration/résistance. Concret/liberté. Grâce à leur réseau de relations à travers le monde, plusieurs ont pu quitter le pays afin d’échapper aux sanctions. Bertrand de Jouvenel, à qui l’on reprochait son interview[8] plutôt complaisante d’Hitler en l936[9], son soutien inconditionnel au



[1] “Le Mythe de Sisyphe”, ibid., p. 103.

[2] Ibid., p. 103.

[3] Carnets

[4]Frédéric Worms “La philosophie en France au XXe siècle. Moments”, op. cité, pp. 321-323.

[5] Pour en savoir plus, consulter porfesseur Michel Lejoyeux “Overdose d’info. Guérir des névroses médiatiques”, Paris, Seuil, 2006, pp; 178-179

[6]Albert Camus « Camus à Combat », Paris, Gallimard, 2002, p. 599. 

[7]« Les Grands reporters ». Les débuts du journalisme moderne, op. cité, p. 348-349 .

[8]Dans Paris-Soir et son tirage de l,5 million d’exemplaires chaque jour qui draine le grand public populaire. 

[9]Un des sept entretiens que le Führer a accordé à des journalistes français entre l933 et 1939, selon Pierre Albert.

camp de Franco durant la guerre d’Espagne et son adhésion au PPF de Jacques Doriot, s’est installé en Suisse, pays neutre, pendant plusieurs années. Titaÿna qui, elle  aussi, a collaboré à Paris-Soir et notamment réalisée une interview de Mussolini parue le 21 mars l935 à la une du quotidien de Jean Prouvost. Peu avant l’interview du Führer par Jouvenel le 21 février, elle a aussi dans Paris Soir Dimanche du 26 janvier 1936, publié un entretien avec Hitler qu’on peut qualifier sans hésitation de propagande et d’anti-reportage d’idées car elle donne au lecteur, sans la moindre distance, l’image truquée de sa politique, où le leader nazi, manipulateur né, cache ses ambitions en Europe et propose de résoudre tous les problèmes par la bonne volonté et le dialogue. No comment ! Toujours est-il que le but recherché est atteint : le 27 janvier, le quotidien de Prouvost annonce fièrement que cette interview exclusive a eu un « retentissement considérable » dans la presse allemande.

Titaÿna est arrêtée en août l944 surtout pour sa collaboration à Radio-Paris et pour ses déclarations antisémites, remise en liberté après des mois, en attente d’un jugement, s’enfuit en décembre l946 par l’Espagne. Elle gagne les Etats-Unis, où elle finira sa vie[1].. Une coupure de cinq ans et la disparition des titres anciens suffisent à expliquer qu’on ne trouve pas dans le métier la majorité de ceux qui y étaient avant la guerre.

Reporter de la libération de Paris en 1944

Dans un tel contexte collaborationniste de la presse, les « Lettres à un ami allemand » éclairent bien le sens qu’il faut donner à l’engagement de Camus, et à sa participation à « Combat » clandestin. L’écrivain humaniste -qui a goûté au reportage à Alger, replonge dans le journalisme pour développer ses idées mais aussi parce qu’il aime comme Sartre ce milieu où ouvriers, correcteurs, journalistes et intellectuels se côtoient et travaillent ensemble dans un véritable élan fraternel au marbre où il adore se retrouver pour relire les épreuves à l’heure du bouclage. C’est d’abord pour lui une manière efficace et vivante de porter et reporter les idées de la Résistance en les engageant dans l’espace public et en pesant ainsi sur l’histoire en train de se dénouer. En tête de ce programme du Conseil national de la Résistance figuraient « l’établissement de la démocratie la plus large (…), la liberté de la presse et son indépendance à l’égard des puissances d’argent, (…) l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie, (…) la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant. »

Vaste et humaniste programme qui ne pouvait que séduire le jeune intellectuel algérois. Tous les témoignages s’accordent pour rappeler que c’est Pascal Pia qui, à l’automne l943, introduit Camus, sous son pseudonyme de Bauchard, dans l’équipe du journal Combat. Camus et Pia sont restés liés au delà de l’aventure avortée d’Alger Républicain ». Ils se sont souvent revus à Lyon. Et Pascal Pia a joué un rôle capital pour la publication de « L’Etranger » et du « Mythe se Sisyphe » - qui lui est dédié-, en favorisant la rencontre du jeune écrivain avec Jean Paulhan et Gaston Gallimard[2]

Lors de son premier contact avec l’équipe de « Combat », notamment avec André Bollier et Jacqueline Bernard, Camus joue les modestes et prétend avoir pratiqué peu de journalisme et de mise en page. En fait, comme le précise Jacqueline Lévi-Valensi dans son introduction aux éditoriaux et articles d’A. Camus (1944-1947), on sait que son expérience de journaliste à « Alger Libération » a été importante et variée : entre octobre 1938 et août l939, il a publié de nombreux articles, qui vont de la chronique littéraire au compte rendu de procès, ou d’informations et de prises de position sur la politique municipale à Alger au reportage sur la « Misère de la Kabylie ». On l’avait alors surnommé « le petit marronnier » car le jeune stagiaire journaliste rédigeait tous les « papiers » de circonstances (ou « marronniers » dans le jargon journalistique) : la rentrée des classes, la neige à Alger la blanche, le muguet du ler mai


[1]Benoît Hermermann « Titayna », l994, p. 229-243.

[2]« Correspondance 1939-1947 Albert Camus-Pascal Pia », Paris, Fayard/Gallimard, 2000.

au Palais du Gouverneur, etc. Mais Camus a appris aussi à animer et à diriger une équipe rédactionnelle puisque, du 15 septembre 1939 au 7 janvier 1940, il a été le rédacteur-en-chef du « Soir Républicain », qui, dans sa brève existence de quelques mois, a d’abord doublé « Alger-Républicain », puis l’a remplacé[1]. Il y est adepte et porte-flambeau d’un journalisme engagé, ne se contentant jamais de la description des faits, mais proposant une réflexion  aussi bien sur les errements de l’appareil judiciaire que sur le fonctionnement des institutions politiques, et s’efforçant de définir une véritable éthique du journalisme.

Quant à la mise en pages, on sait que Camus a été secrétaire de rédaction à « Paris-Soir ». Et il est effectivement chargé de la maquette de « Combat » clandestin : celle-ci doit être bien préparée : rédigé à Paris, « Combat » est alors imprimé clandestinement à Lyon. Mais là ne se limite sans doute pas son activité au journal. S’il est difficile de la déterminer avec précision, il est probable qu’il intervient aussi  dans le transport et la diffusion du journal. Et dans la rédaction des articles où l’on retrouve « la patte » de l’écrivain et son sens des formules frappées en médaille. Ainsi, dans « A guerre totale, résistance totale[2] », signé « Combat », on retrouve le style et le ton de « La Peste » dans des phrases telles que « il suffit du moins que la vérité soit dite et que le mensonge recule », ou encore : « ce coeur tranquille que les meilleurs des nôtres emportent jusque dans les prisons. »

Dans les derniers moments avant la Libération, le filet se resserre sur les membres de la rédaction du journal clandestin dont le nombre diminue avec les arrestations de Jean-Guy Bernard (qui mourra à Auschwitz), de Claude Bourdet et de Jacqueline Bernard, « L’infatigable secrétaire de rédaction de Combat », comme l’écrira  le quotidien le 30 avril 1945, pour annoncer son  retour de déportation.

En juin, le journal  désorganisé  par la destruction  de l’imprimerie de Lyon et la mort d’André Bollier, doit se contenter de trois « Bulletins d’informations » ronéotypés sous le titre « Combat-Informations ». Camus lui-même est menacé et se cache tout en préparant le numéro 0 de « Combat » pour annoncer le temps fort du moment de la Libération de Paris. Ses notes manuscrites sur « Combat » clandestin s’achèvent pour une conclusion rédigée : « Ici s’arrête l’histoire du journal proprement clandestin. Combat avait publié 56 numéros pendant ces quatre ans[3]. Ma seule ambition est d’avoir pu faire imaginer un peu ce que représentait chacun de ses numéros. Il n’y a pas de doute qu’il nous ont coûté d’abord les meilleurs d’entre nous (...) Non, nous ne pouvons plus rien pour eux qui se sont battus. Du moins, nous sommes quelques-uns  encore à garder au fond du coeur le souvenir de ces visages fraternels et à les confondre un peu avec le visage de notre pays ».

Bien que fort discret sur ses faits de Résistance dont, comme Canguilhem, il prétendait que les rescapés n’avaient pas à parler,  il confiait, en septembre l944, dans une lettre à sa femme Francine  : « Après avoir essayé de passer en Espagne et y avoir renoncé puisqu’il fallait faire plusieurs mois de camp ou de prison et que je ne pouvais le faire dans mon état, je suis entré dans les mouvements de résistance. J’ai beaucoup réfléchi et je l’ai fait en toute clairvoyance parce que c’était mon devoir. J’ai travaillé en Haute-Loire et puis tout de suite après à Paris avec Pia, au mouvement Combat (...) Il y a six semaines, j’ai failli être arrêté et j’ai disparu de la vie publique[4] ».

Et l’intellectuel Camus, pris dans le tumulte de la Libération et des bruits de l’histoire en marche, se mue en reporter dans le feu de l’action et de la Résistance à l’occupant nazi. Avec un style précis et vivant d’un journaliste au sommet de son art. « Paris fait feu de toutes ses balles dans la nuit d’août. Dans cet immense décor de pierres et d’eaux, tout autour de ce fleuve aux flots lourds d’histoire, les barricades de la liberté, une fois de plus, se sont


[1]« Alger-Républicain » est suspendu le 28 octobre l939.

[2]Daté de Mars 1944 (n°55).

[3]Camus se trompe dans son calcul : il y eut en réalité 58 numéros de « Combat » clandestin.

[4]Cité par Francine Camus dans une lettre envoyée d’Alger à sa mère restée à Oran.  

 

dressées. » Ainsi débute son fameux éditorial  « Le sang de la liberté » paru dans « Combat » du 24 août 1944. Le quotidien clandestin est diffusé au grand jour depuis le 21 août et se fait le chantre de l’insurrection de Paris tout mettant en avant la morale. « Le Paris qui se bat ce soir veut commander demain. Non pour le pouvoir, mais pour la justice ; non pour la politique mais pour la morale ».

Le lendemain, Camus décrit à grand renfort de métaphores la libération de Paris. Avec un ton épique et un souffle inimitable dans la lignée des grands reporters de guerre. Et sous le regard qui voit s’agiter le vent de la liberté, le résistant journaliste-en-lutte Camus évoque comme un leitmotiv la voix du peuple qui tonne et secoue ses chaînes. Reportage, libération et vérité d’un combat, le tout enveloppé d’un lyrisme que l’on retrouvera chez Foucault lors de ses reportages d’idées en Iran à la fin des années 1970.

« Tandis que les balles de la liberté sifflent encore dans la ville, les canons de la libération franchissent les portes de Paris, au milieu des cris et des fleurs. Dans la plus belle et la plus chaude des nuits d’août, le ciel de Paris mêle aux étoiles de toujours les balles traçantes, la fumée des incendies et les fusées multicolores de la joie populaire. Dans cette nuit sans égale s’achèvent quatre ans d’une histoire monstrueuse et d’une lutte indicible où la France était aux prises avec sa honte et sa fureur.

« Ceux qui n’ont jamais désespéré d’eux-mêmes ni de leur pays trouvent sous ce ciel leur récompense. Cette nuit vaut bien un monde, c’est la nuit de la vérité. La vérité en armes et au combat, la vérité en force après avoir été si longtemps la vérité aux mains vides et à la poitrine découverte. Elle est partout  dans cette nuit où peuple et canon grondent en même temps. Elle est la voix même de ce peuple et de ce canon, elle a le visage triomphant et épuisé des combattants de la rue, sous les balafres et la sueur. Oui, c’est bien la nuit de la vérité et de la seule qui soit valable, celle qui consent à lutter et à vaincre[1]. »

« De la Résistance à la Révolution »

C’est désormais le sous-titre de « Combat » qui est sorti du bois de la clandestinité et passe désormais d’un journalisme-en-lutte qui militait pour l’insurrection à un journalisme de rassemblement, plus consensuel.

« Nous allons tenter de faire un journal raisonnable. Et comme le monde est absurde, il va échouer », déclare avec provocation à la Libération Pascal Pia, le directeur, l’âme et le patron paternaliste de « Combat » qui arrive au journal tôt, dès dix ou onze heures du matin, avec sa Thermos de café pour tenir le coup car il s’est couché à l’aube pour boucler l’édition du quotidien vendu la plupart du temps à la criée.

Aux jeunes recrutés à la bonne franquette (il débauche dans l’escalier le cinéaste Alexandre Astruc qui pige à « Franc-Tireur » dans le même immeuble que Combat) et tentés par l’aventure du quotidien mythique de la rue Réaumur, Camus, lance : « Je vous ferai faire des choses emmerdantes mais jamais dégueulasses. ». Sans doute, en embauchant ses jeunes talents à « Combat », Camus se souvient avec émotion de ses premiers pas, à 25 ans, dans le journalisme en Algérie où il fait mine de ne pas avoir la vocation mais y apprécie la liberté. C’est du moins ce qu’il prétend dans une lettre à Jean Grenier où il adopte son propos à son correspondant qui, en tant qu’universitaire, doit nourrir sans doute quelques préjugés contre le journalisme : « Je fais  du journalisme à « Alger Républicain – les chiens écrasés et du reportage – quelques articles littéraires aussi. Vous savez mieux que moi combien ce métier est décevant. Mais j’y trouve cependant quelque chose : une impression de liberté – je ne suis pas contraint et tout ce que je fais me semble vivant. On y trouve aussi des satisfactions d’une qualité assez basse : mais tant pis[2]. » 

Pendant plus de dix-huit mois, « Combat » paraîtra sur deux pages et sous deux formats selon les stocks de papier : 42 x 57 ou 24 x 42, vendu à 1,50 franc ou 2 francs. Il tire jusqu’à


[1]Albert Camus « La nuit de la vérité », Combat du 25 août 1944, op. cité pp ; 151-152.

[2]Roger Grenier « Albert Camus, soleil et ombre », Paris, Gallimard, 1987, pp. 359-360.

 

182 000 exemplaires mais « bouillonne » avec 30% d’invendus. Ce qui rend fragile l’équilibre financier d’un journal militant qui n’a pas le soutien d’un grand groupe mais rêve de lendemains qui chantent. Les premiers mois, les articles et les reportages de « Combat » sont vivants mais classiques, moins traditionnels que ceux du « Figaro », moins compassés que certains dans « Le Monde », qui paraît depuis décembre l944.

Infatigable, le rédacteur en chef Camus définit une ligne journalistique au parfum moraliste, voire  philosophique, « au croisement de l’idée et de l’événement ». Quelques jours après la Libération, il annonce la ligne éditoriale : « Nous sommes décidés à supprimer la politique pour la remplacer par la morale... ». Beau et juste programme qui ne manque pas d’utopie ni d’ambition !  Relayant les articles de Pia sur la méthode journalistique parus dans « Le Soir républicain », il esquisse une théorie du journalisme tout en s’essayant à l’autocritique. Entre le sage et l’insensé,  entre morale et politique, entre critique et questionnement.

« Faisons un peu d’autocritique. Le métier qui consiste à définir tous les jours, et en face de l’actualité, les exigences du bon sens et de la simple honnêteté d’esprit ne va pas sans danger. A vouloir le mieux, on se voue à juger le pire et quelquefois aussi ce qui est seulement moins bien. Bref, on peut prendre l’attitude systématique du juge, de l’instituteur ou du professeur de morale. De ce métier de la prétention à la sottise, il n’y a qu’un pas. Nous espérons ne l’avoir pas franchi. Mais nous ne sommes pas sûrs que nous ayons échappé toujours au danger de laisser entendre que nous croyons avoir le privilège de la clairvoyance et la supériorité de ceux qui ne se trompent jamais. Il n’en est pourtant rien. Nous avons le désir sincère de collaborer à l’oeuvre commune par l’exercice de quelques règles de conscience dont il nous semble que la politique n’a pas fait, jusqu’ici un grand usage[1]. »

Alors que l’intellectuel Heidegger a demandé « Was ist Metaphysik ? », Camus pose des problèmes professionnels et plus pragmatiques : que doit être le journalisme ? Que propose-t-il, après le départ des vichystes ? Quelle est sa vocation et sa finalité en ces temps agités de reconstruction de l’après-guerre ? Au cours des mois, Camus, « reporter d’idées », relance ses questions et tente d’y répondre vaille que vaille, jour après jour, à chaque bouclage de “Combat”. Tout d’abord, il veut des journaux libérés de l’argent, « un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui ». Déçu par la nouvelle presse de la Libération et ce qu’il nomme son « péché de paresse », il rappelle l’espoir insensé de liberté d’expression et de parole  qui animait les journaux de la Résistance auxquels il a activement participé et en arrive même à évoquer curieusement -sans être pour autant gaulliste, la « voix de la France ».

« Lorsque nous rédigeons nos journaux dans la clandestinité, c’était naturellement sans histoires et sans déclarations de principes. Mais je sais que pour tous nos camarades de tous nos journaux, c’était avec un grand espoir secret. Nous avions l’espérance que ces hommes, qui avaient couru des dangers mortels au nom de quelques idées qui leur étaient chères, sauraient donner à leur pays la presse qu’il méritait et qu’il n’avait plus. (...) La tâche de chacun de nous est de bien penser ce qu’il se propose de dire, de modeler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et de ne jamais perdre de vue cette immense nécessité de redonner à un pays sa voix profonde[2]. » 

A l’aube des inextinguibles espoirs de liberté d’expression, un bon journal cherche le dénominateur le plus élevé de ses lecteurs, pas le plus bas. Pas question de presse caniveau ! Pour Camus, le modèle à suivre, n’est pas « Le Monde » de Beuve-Méry avec lequel il entretient une histoire de haine amoureuse et de malentendus, encore moins le voisin « France-Soir » de Pierre Lazaeff car trop centré sur le sensationnel et la recherche systématique du scoop racoleur pour séduire un lectorat populaire. Au nom de la vérité et des principes de la Résistance, Camus porte en lui l’espoir d’édifier un « espace public » de la


[1]Albert Camus, « Autocritique »,  Combat du 22 novembre l944, op. cité p. 344.

[2]Albert Camus « Critique de la nouvelle presse », Combat 31 août 1994, op. cité p. 159 et 162.

voix de la France. Une espèce d’hétérotopie avant la lettre qui ne supporte pas la médiocrité et réclame du souffle et de l’ambition. Sans démagogie, sans bourrage de crâne. 

« On nous dit : « C’est cela que veut le public ». Non, le public ne veut pas cela. On lui a appris pendant vingt ans à le vouloir, ce n’est pas la même chose. Et le public, lui aussi, a réfléchi pendant ces quatre années : il est prêt à prendre le ton de la vérité puisqu’il vient de vivre une terrible époque de vérité. Mais si vingt journaux, tous les jours de l’année, soufflent autour de lui l’air même de la médiocrité et de l’artifice, il respirera cet air et ne pourra s’en passer.

« Une occasion unique nous est offerte au contraire de créer un espace public et de l’élever à la hauteur du pays lui-même. Que pèsent en face de cela quelques sacrifices d’argent ou de prestige, l’effort quotidien de réflexion et de scrupules qui suffit pour garder sa tenue au journal ? Je pose seulement la question à mes camarades de la nouvelle presse. Mais, quelques que soient leurs réactions, je ne puis croire qu’ils y répondront légèrement[1] ».

Partisan d’un journalisme critique pour informer mieux

Pris dans l’engrenage infernal de la surenchère du scoop et de l’heure du bouclage quotidien, le journaliste qui veut informer à tout prix et faire toujours mieux que les concurrents,  confond souvent vitesse et précipitation : il livre les faits bruts sans les décortiquer, sans l’enrober de commentaires...  au point même de négliger le détour de la pensée et de la réflexion. « La situation est désespérée. Et la solution désespérément simple.[2] » Au nom du « journalisme d’idées » et de la morale, Camus refuse la fuite en avant de la banale et unique collecte des faits et la facilité de la presse « people » avant l’heure. Il prêche pour des articles de fond qui allient sérieux et information, rigueur et esprit critique. Résistant aussi par la plume, il se prétend acteur qui fait époque plutôt que simple spectateur/témoin de son temps.

« Il faut bien que nous nous occupions aussi du journalisme d’idées. La conception que la presse française se fait de l’information pourrait être meilleure, nous l’avons déjà dit. On veut informer vite au lieu d’informer bien. La vérité n’y gagne pas. On ne peut donc raisonnablement regretter que les articles de fond prennent à l’information, un peu de la place qu’elle occupe si mal. Une chose du moins est évidente : l’information telle qu’elle est fournie aujourd’hui aux journaux, et telle que ceux qui les utilisent, ne peut se passer d’un commentaire critique. C’est la formule à laquelle pourrait tendre la presse dans son ensemble[3].

Déjà refleurissent les titres racoleurs et bientôt concurrents, le morbide et le scandale, le crime et la farce. En janvier 1945, Combat atteignait les 185 000 exemplaires. Six mois plus tard, il a perdu 10 000 lecteurs qu’il ne retrouvera plus. Bien sûr, son indépendance d’esprit est reconnu, mais l’opinion ne peut s’en satisfaire. Au fil des mois, elle abandonne ses héros de la clandestinité pour retourner à des préoccupations plus triviales : manger, se vêtir, travailler, se loger. Rue Réaumur, personne ne prend garde de ce mouvement de désintérêt presque soudain pour les grandes causes et le monde des idées. La rédaction se sent toujours sur la crête de la vague et se veut indispensable : obliger le lecteur au questionnement permanent, à la vertu de la réflexion contre la débauche des mots et des images.  La population parisienne se fatigue, et en un an se détourne de plus en plus des rêves ébauchés, « avec le sentiment que seuls les partis (..) ont les moyens matériels de réaliser leurs aspirations[4] ».

Pour l’écrivain Camus, observateur et acteur politique, le journal doit malgré tout tenir le cap et s’en tenir coûte que coûte à ses principes et à ses buts. « L’information ne peut donc se passer d’un commentaire critique ». Un journaliste est quelqu’un censé avoir des idées. Les journalistes sans idées veulent informer vite au lieu d’informer bien . La vérité n’y gagne rien,


[1]Albert Camus « La réforme de la presse » Combat ler sept. 1944, op . cité p. 165.

[2] Paul Watzlawick.

[3] « Albert Camus « Le journalisme critique » Combat 8 septembre l944, op. cité, p. 179-180.

[4] Synthèse du ministère de l’Information. Archives nationales.

et le lien de dépendance à l’actualité menace. Les informations en apparence neutres ne le sont pas complètement. Elles obéissent souvent à l’idéologie du conformisme et du scoop. Or, on doit séparer l’information du commentaire dans l’espace public afin de ne pas engendrer des confusions entre objectivité et subjectivité qu’il prétend dépasser au nom et au service de son cher « Combat ». Albert Camus taille en pièce au passage le mythe de l’information objective, en temps réel, limitée aux faits essentiels. Il nous rappelle une évidence qui mérite ici d’être répétée : aucun information n’est indiscutable et l’actualité brute n’existe pas[1]. Il oublie cependant de dire au passage que la sélection de certains faits constitue en elle-même une opinion et qu’un journal hiérarchise toujours l’info en la mettant en scène. Il craint « les excès de la rhétorique et/ou les appels à cette sensibilité de midinette qui faisaient, avant la guerre et après, le plus clair de nos journaux[2] ». Il pose le problème du talent des individus et de l’honnêteté collective dans sa quête d’un « journalisme critique » à la rencontre de l’intellectuel et du journaliste dont il tente ici une première définition d’ « historien au jour le jour »

« Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui est censé avoir des idées. (...) C’est ensuite un homme qui se charge chaque jour de renseigner le public sur les événements de la veille. En somme, un historien au jour le jour – et son premier souci  doit être de vérité. Mais n’importe quel historien sait combien, malgré le recul, les confrontations de documents et les recoupements de témoignages, la vérité est chose fuyante en histoire. A cet état de fait, il ne peut apporter qu’une correction qui est morale, je veux dire un souci d’objectivité et de prudence. De quelle urgence ces vertus deviennent elles alors dans le cas du journaliste privé de recul et empêché de contrôler toutes ses sources ! Ce qui pour l’historien est une nécessité pratique devient pour lui une loi impérieuse hors de laquelle son métier est une mauvaise action[3]

Notre reporter d’idées moraliste est un écrivain qui réclame aussi du « ton », un souffle, un style. C’est pourquoi Pia et Camus font appel à des plumes littéraires pour donner un cachet à « Combat » : Gide et Bernanos notamment. Lors du second déjeuner mensuel du comité directeur de « Combat » qui a lieu dans un salon particulier d’un restaurant pas trop chic, Camus arrive avec l’écrivain Louis Guilloux. On y invite aussi Malraux qui est de toutes les aventures. Le l9 janvier 1946, celui-ci, passé au gaullisme fervent, téléphone un scoop à Pia : de Gaule va démissionner. Comment ne pas compromettre l’informateur ? On passe le scoop au « News Chronicle » de Londres puis on cite ce quotidien anglais comme source. Histoire de brouiller les pistes et ne pas se griller de ses sources.

Camus livre quelques pistes pédagogiques, voire didactiques, pour instituer et incarner son  « journalisme critique » qu’il appelle de tous ses voeux. Le journaliste peut aider à la compréhension des nouvelles par un ensemble de remarques qui donnent leur portée exacte  à des informations dont ni la source ni l’intention ne sont toujours évidentes. Il convient donc de cultiver un regard critique et distancié qui n’aurait plus la prétention de tout voir. Ainsi, Camus balance entre relativisme et engagement. Dialecticien pédagogue et imaginatif secrétaire de rédaction, Camus propose qu’on  rapproche dans la mise en page du journal des dépêches qui se contredisent, et ainsi « de les mettre en doute l’une par l’autre. Tout en  éclairant le lecteur sur la probabilité qu’il est convenable d’attacher à telle information, sachant qu’elle émane de telle agence ou de tel bureau à l’étranger ». Vœu sans doute pieux d’un intellectuel engagé et idéaliste qui croit encore aux lendemains (de Résistance) qui chantent.

Il revient cependant au journaliste, mieux renseigné que son lecteur, de lui présenter, avec le maximum de réserves, des informations dont il connaît bien la précarité et qu’il ne faut pas


[1] Michel Lejoyeux “Overdose d’info”, op. cité, p. 182.

[2]Albert Camus « Critique de la nouvelle presse », Combat du 31 août l944, in op. cité, p. 162.

[3]Albert Camus « La réforme de la presse », Combat du ler septembre l944, in op. cité, p. 163. 

confondre avec la vérité. Au fond, Camus veut lutter contre l’illusion du public qui voudrait tout ce qui est écrit dans le journal soit véridique et incontestable. Ou au contraire faux et mensonger. « Le journalisme n’a pas bonne presse. Il y a des raisons aux exaspérations. Mais il y en a aussi à la vigilance, au refus de la critique légère, inconsciente de ses enjeux», remarque quelques décennies plus tard Géraldine Muhlmann[1]. Et Camus exige avec bon sens plus de prudence au reporter dans la recherche du scoop, que « les nouvelles fausses ou douteuses ne soient pas présentées comme des nouvelles vraies ». Vrai/vrai, faux/faux, mais aussi et surtout vrai/faux, faux/vrai.  Ce qui est la moindre des choses, même lorsqu’on travaille dans l’urgence dans un quotidien avec la hantise de l’heure du bouclage et du ratage de l’info exclusive qui fait vendre et donne notoriété au journal qui l’a détient. 

Mais Camus va plus loin dans sa démarche didactique en expliquant qu’ « à cette critique directe, dans le texte et dans les sources, le journaliste pourrait ajouter des exposés aussi clairs et  que possible qui mettraient le public au fait de la technique d’information (...) L’avantage serait de mettre en garde son sens critique au lieu de s’adresser à son esprit de facilité ». Lucide et circonspect, il conclut cependant avec optimisme : « La question est seulement de savoir si cette information critique est techniquement possible. Ma conviction sur ce point est positive.[2] ».

 Et l’augmentation de la diffusion et de la notoriété du journal semble lui donner raison : le journalisme critique et engagé à la Camus séduit et son lectorat s’élargit. L’information consommée de manière adulte, sans dépendance, ne peut se passer d’un commentaire engagé. Le reporter d’idées, sorte de journaliste idéal, défend la liberté de son lecteur justement parce qu’il est pris dans un combat commun avec lui. Il aide à la compréhension des nouvelles par un ensemble de remarques qui donnent la portée exacte aux informations dont ni la source ni l’intention ne sont toujours évidentes. Il nous met en garde face aux armes de conviction massives que sont les images inédites ou les dépêches tonitruantes. Enfin, Camus nous propose une arme suprême contre la dépendance du présent et au sérieux de l’événement : l’ironie. Une pointe de distance vis-à-vis de l’actualité permet de redonner sa juste place aux annonces les plus définitives, aux commentaires sans appel et aux spéculations sur l’avenir qui ne doutent pas d’elle-même[3]

En s’abonnant, des lecteurs votent pour la ligne de « Combat » tout en lui permettant de vivre et de se développer. Le journal passe à quatre pages. Un luxe en ces temps où le ministère de l’information distille au  compte-goutte les rations de papier aux quotidiens. Il recrute de nouvelles plumes. Pia engage pour la littérature Maurice Nadeau, trotskisant, qui s’en servira comme tremplin à une belle carrière éditoriale. Jacques Lemarchand régente le théâtre, Jean Grenier et un nouveau critique, Charles Estienne, couvrent la peinture et les diverses expositions. Ami de Camus, Guy Dumur, critique de théâtre, s’impose avec un flair de découvreur.

Avec son « souci d’objectivité et de prudence  au jour le jour », revenant aux analyses de Pia dans « Le Soir républicain », inspirées de Nizan dans « Chroniques de Septembre », Camus rapproche ainsi le journaliste  de l’historien tout en sachant que le premier qui travaille à chaud manque souvent de recul et de distance par rapport à l’événement. En engageant pour couvrir la politique intérieure, puis par la suite la politique étrangère, le philosophe Pierre Kaufmann que Pia a connu pendant la guerre, Camus lui précise la ligne de « Combat » : « Nous ne sommes pas dogmatiques. Nous ne ferons pas d’anticommunisme mais, lorsque


[1] « Du journalisme en démocratie », op. cité, p. 329.

[2]Albert Camus, « Le journalisme critique », iop. cité., p. 180-181.

[3] Michel Lejoyeux “Overdose d’info”, op; cité, p. 182 : “Un dictateur ou un terroriste dont on apprend à se moquer sont des criminels désarmés. Que reste-t-il d’Hitler et de Mussolini quand Charles Chaplin les montre comme ce qu’ils sont, colériques, bagarreurs et puérils ?”

nous ne serons pas d’accord avec les communistes, nous le dirons ». Une ligne éditoriale qui a le mérite d’être à la fois franche et claire.

Ouverte et oecuménique, l’équipe de « Combat ne fonctionne pas en vase clos. L’amitié et la complicité entre Camus et Pia impressionnent tous les journalistes et la rédaction est une véritable ruche intellectuelle où il fait bon vivre, comme en témoigne Roger Grenier, jeune journaliste engagé par Camus « avec l’accord de Pia, bien sûr ». « C’était un endroit où l’on se sentait bien.  Je n’ai jamais retrouvé cela quelque part (...) Au milieu de la nuit, alors que le journal était bouclé, il est arrivé que Pia retint quelques uns d’entre nous dans son bureau. Et il nous lisait l’édito de Camus qui paraîtrait le lendemain matin. Il nous montrait ce qui, dans un sujet commandé par l’activité, pouvait passer pour une allusion, un aveu personnel. Ainsi, à propos de la mort de Roosevelt, quelques phrases sur la maladie contre laquelle l’homme politique s’était battu toute sa vie, et que Camus n’avait pas pu écrire sans penser à la tuberculose qui continuait à le menacer[1]. » 

« Combat » accueille volontiers de grandes signatures attirées par la notoriété et la haute tenue intellectuelle du journal, en publiant des extraits de « La lutte avec l’ange » de Malraux, en octobre l944, ou, à plusieurs reprises, des textes de Bernanos. Elle donne la parole à Emmanuel Mounier et s’assure la collaboration quasi quotidienne de journalistes confirmés comme Georges Altschuler, ou, celle occasionnelle d’écrivains déjà reconnus, comme Jean-Paul Sartre. Du 28 août au 4 septembre l944, ce dernier – à l’initiative, dit-on de Camus – publie un reportage intitulé « Un promeneur dans Paris insurgé » qui décrit la libération de Paris. Pour la première fois une signature, celle de Sartre, apparaît dans le journal ; détail savoureux, puisque cette série de reportages est due, en fait, au « nègre » Simone de Beauvoir, du moins en partie[2].

Connu comme écrivain, Albert Camus devient un journaliste célèbre grâce à ses éditos et à ses articles (parfois non signés) dans « Combat ». Ainsi, le 8 août 1945, précise son biographe Olivier Todd[3], Camus est le seul éditorialiste français à exprimer son horreur après l’explosion de la bombe atomique américaine sur Hiroshima. Pour l’écrasante majorité des Français et des commentateurs, cette bombe signifie la fin de la guerre. Beaucoup de morts japonais évitent de nombreux morts américains et obligent l’empereur nippon à signer la paix dans le Pacifique.

« La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie, écrit-il. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif et l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » Camus est le seul à réagir sur le champ. Il ne nie pas l’efficacité de la bombe. « Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons ». Selon l’agence Reuter, l’invention de la bombe atomique rendrait caducs les traités. Camus proteste  et navigue entre morale et politique : il faut maintenant plaider « plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droit supérieurs aux petites ».

Le commentaire politique et moral de l’actualité avec Mauriac 

La vocation moralisante de Camus s’exprime dans cet éditorial plus qu’ailleurs. Car le journalisme critique réclame que « les articles de fond aient du fond[4]. »  Il est découragé par cette dernière barbarie atomique dont il doute de l’effet dissuasif. Croit-il, s’interroge Todd, à l’efficacité de ses prises de position dans « Combat » ? Un éditorial influence-t-il les lecteurs, modifie-t-il leur point de vue, ou charpente-t-il leurs opinions et préjugés ? Simone de Beauvoir est horrifiée par la bombe d’Hiroshima mais ni elle ni Sartre ne le diront en public.


[1]Roger Grenier « Albert Camus Soleil et ombre », op. cité pp. 222-223.

[2]Albert Camus, « Le journalisme critique », op. cité, p. 181.

[3]Olivier Todd, « Albert Camus, une vie », Editions Gallimard et Olivier Todd, Paris, 1996, p. 381.

[4] Combat, 8 septembre 1944.

Camus, lui, milite volontiers pour un « journalisme critique » qui, par son ton et sa déontologie, réconcilierait morale et politique.

« Il est un autre apport du journaliste au public. Il réside dans le commentaire politique et moral de l’actualité. En face des forces désordonnées de l’histoire, dont les informations sont le reflet, il peut être bon de noter, au jour le jour, la réflexion d’un esprit ou les observations communes à plusieurs esprits. Mais cela ne peut se faire sans scrupules, sans distance et sans une certaine idée de la relativité. Certes, le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. Et même si l’on a commencé à comprendre ce que nous essayons de faire dans ce journal, l’un ne s’entend pas sans l’autre. Mais ici comme ailleurs, il y a un ton à trouver, sans quoi tout est dévalorisé[1].»

L’exigence morale, la réflexion à la fois politique et éthique, la volonté de participer à la restauration de la France, l’espoir mis dans une révolution sociale pacifique mais fondamentale apportant à ces commentaires de l’actualité une dimension qui dépasse la portée habituelle des articles de la presse quotidienne, voués à perdre de leur intérêt  en dehors des circonstances qui les ont suscités. On touche ici au coeur du « reportage d’idées » fiction théorique forgée par Foucault et qui pour Camus n’a rien d’un oxymore à Combat. L’époque de la Libération, de la fin de la guerre et de l’immédiat après-guerre, est particulièrement émaillée de faits historiques. Camus a su prendre leur mesure, qu’il s’agisse de politique intérieure ou internationale, du statut de la presse, des émeutes en Algérie ou de l’utilisation de la bombe atomique. Il l’expose sans censure et sans concession dans son journal. Sans jamais se renier et sans renier ses idées. 

Certes, Camus aborde des sujets divers au gré de l’effervescence de l’actualité fort riche à cette période charnière, mais on retrouve toujours dans ses éditoriaux les lignes de force de sa pensée et de ses choix. A savoir : l’introduction de la morale en politique, la nécessité d’un langage clair et d’une véritable justice, pour les hommes et pour les peuples ; le refus des mensonges et des compromis, le respect de la démocratie, l’établissement d’un nouvel ordre international, qui fasse leur place aux petites nations, en un mot la participation à l’histoire.

« Cette voix inquiète et grave dominant le tumulte de la Libération » ne manque pas de style et se reconnaît d’abord à ses qualités d’écriture à son  ton singulier : mordant des accroches à grand renfort d’interrogatives attirant une réponse précise ou une chute ironique, argumentation rigoureuse et claire, refus de l’emphase. 

Sur le thème moral de justice et charité, Camus va trouver un interlocuteur de haute volée à sa mesure en la personne de son aîné Mauriac, éditorialiste au Figaro. On sait tout ce qui peut séparer le grand bourgeois catholique, membre de l’Académie française et dont l’oeuvre est déjà abondante, du jeune écrivain venu d’Alger[2].  Mais ils ont en commun leur passé de résistants et surtout un même souci éthique, et le même désir de ne pas séparer morale et politique. Leur dialogue public par éditos interposés, d’abord empreint de respect et même d’admiration réciproque, va se transformer en affrontement féroce. Cette évolution de ton est tout à fait significative de l’état d’esprit qui règne dans les premiers mois qui suivent la Libération de Paris et des attentes diverses entre intellectuels croyants et incroyants sur la gouvernance du pays. L’échange entre les deux célèbres signatures de « Combat » et du « Figaro » s’instaure sur les valeurs qui permettront de fonder une nouvelle société : pour Mauriac c’est d’abord le christianisme et sa « loi de charité » ; pour Camus, il s’agit de l’avènement de la justice qui sera mieux garanti par des valeurs proprement humaines. Après avoir gagné notre libération, il s’agit désormais de conquérir nos libertés[3]. Ce débat de fond


[1]Michel Contat et Michel Ribalka, « Les Ecrits de Sartre », chronologie, bibliographie commentée, Paris, Gallimard, 1970, p.103.

[2]Pour en savoir plus, consulter Jean-yves Guérin « Portrait de l’artiste en citoyen », Paris, Françoise Bourin Ed., 1993, chap. 3 « Face à Mauriac et à l’épuration », pp. 43-63.

[3] Editorial « Justice et liberté », Combat du 8 septembre l944, op. cité p. 176.

aura pour principale pierre d’achoppement la question de l’épuration, sur laquelle, Camus et Mauriac vont rapidement s’opposer. Leur débat sera grave, voire tendu et douloureux, parfois ironique, toujours d’une très haute tenue. Un vrai reportage d’idées d’abord à fleurets mouchetés, puis à l’arme blanche.

Si les deux écrivains journalistes s’accordent sur la nécessité d’une réforme morale de la presse[1], la première divergence apparaît à propos de la censure. Camus en reconnaît le bien fondé en ce qui concerne les informations militaires, mais récuse la censure politique, d’une manière que Mauriac juge excessive, voire irréaliste[2] Sans doute, cependant, Camus et « Combat » se sentent-ils assez proches de Mauriac et du « Figaro » lorsque l’écrivain catholique note que « la politique est impure par essence » ou exprime le désir d’aller « vers un socialisme humaniste[3]. » 

Mais très vite, Mauriac prend sur l’épuration une position critique qui va dans le sens de l’ « apaisement[4] », position que conteste « Combat » le lendemain dans sa revue de presse. C’est là le véritable début de la polémique virulente entre les deux journalistes écrivains où chaque lecteur va devoir choisir son camp. Allant dans le sens d’un appel du général de Gaulle[5], Mauriac plaide pour l’indulgence envers ceux qui se seraient simplement trompés, alors que pour Camus, il y a des situations où « l’erreur n’est qu’un crime » et penche pour une épuration courte, rapide et personnalisée[6].

Mauriac ayant regretté le poids de la presse unique, issue de la Résistance, Camus affiche son désaccord total avec ce point de vue en attaquant son édito du 20 Octobre : « Nous ne sommes pas d’accord avec M. François Mauriac[7]. ». Il rappelle, comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises, que « La France a une révolution à faire en même temps qu’une guerre » et que cette politique exige une justice rigoureuse[8]. Dans sa « Réponse à Combat », Mauriac dit son admiration et sa sympathie pour son cadet mais aussi son incompréhension totale.

Camus lui répond longuement : dans cet éditorial[9] où il réitère sa conviction de la nécessité d’une justice rapide et efficace, s’exprime toute la différence entre celui qui espère en une justice divine et celui qui a « choisi d’assumer la justice humaine ». Et Camus conclut en formulant avec force son sens de la responsabilité historique qui incombe à sa génération. Le ll janvier 1945, sous le titre « Justice et charité », Camus clôt le débat : il y redit la conviction d’une justice rigoureuse, qui exclut tout à la fois « la  haine et le pardon ». Mais il devait vite constater que cette justice n’arrivait pas à s’exercer et que l’épuration était « non seulement manquée, mais encore déconsidérée[10] .»

« Je puis témoigner  cependant que malgré quelques excès de langage venus de François Mauriac, je n’ai jamais cessé de méditer ce qu’il disait, déclare Camus, en 1948, au couvent des Dominicains de Latour-Maubourg, en évoquant ce long débat qui l’avait opposé à Mauriac. Au bout de cette réflexion, et je vous donne ainsi mon opinion  sur l’utilité du dialogue croyant-incroyant, j’en suis venu à reconnaître en moi-même et publiquement ici que sur le fond, et sur le point précis de notre controverse, M. François Mauriac avait raison


[1] Albert Camus, « La réforme de la presse « , Combat du ler septembre 1944, et François Mauriac «Examens de conscience », Le Figaro du 9 septembre l944.

[2]Albert Camus, « Tout le monde sait que les journaux...., Combat du 22 septembre 1944, et François Mauriac « La traversée », Le Figaro des 24-25 septembre l944.

[3] François Mauriac, éditorial « Vers un socialisme humaniste », Le Figaro du 11 octobre l944.

[4]François Mauriac,  Editorial « Révolution et Révolutions », Le Figaro 13 octobre.

[5]Discours de Charles de Gaulle du 14 octobre l944.

[6]Albert Camus, Editorial du 18 octobre 1944, op. cité p. 264.

[7] Albert Camus, « Camus à Combat », op. cité p. 270.

[8] Albert Camus,  « Combat » éditoriaux des 20 et 21 octobre 1944, op. cité,  p. 270 et 274.

[9] Albert Camus,« Nous hésitons à répondre à M. François Mauriac... », Combat du 25 octobre l944, op. cité p. 287.

[10]Albert Camus, Combat éditorial du 30 août 1945, op. cité p. 599.

contre moi[1].» Bel exemple de rigueur intellectuelle qui n’existe hélas pas toujours dans les rédactions : nous sommes bien placés pour le savoir… après plus de trente ans de journalisme.

La polémique continuera entre Mauriac et « Combat », mais Camus n’y participera plus. Mauriac regrettera implicitement l’absence de cet interlocuteur, « reporter d’idées » et styliste hors pair. En novembre l945, dans un article où il se plaindra qu’on lui fait répondre par « le dernier de la classe », il écrira : « A vrai dire, depuis que M. Albert Camus n’est plus là, les admirateurs de « Combat » parmi lesquels je m’honore de figurer, vivent du parfum d’un vase non certes brisé, mais aux trois quarts vide[2]. »

Malgré quelques coups de griffe et agaceries, cette controverse entre ces deux reporters d’idées a, en effet, permis une véritable confrontation d’idées particulièrement fructueuse qu’on peut qualifier de reportage d’idées. Si les positions de Mauriac et de Camus sont antagonistes, elles ont, pour l’un comme pour l’autre des fondements d’ordre moral, et n’excluent pas une vision lucide de leurs conséquences politiques.  Au nom de la charité, Mauriac prêche l’oubli ou le pardon des fautes, et la réconciliation avec tous les Français, et en particulier entre les anciens responsables collaborateurs de Vichy et les nouveaux venus de la Résistance. Au nom de la justice, Camus, réclame l’application concrète, rapide et mesurée de lois adaptées, et appelle à un renouveau complet de la classe politique. C’est Mauriac qui l’a emporté car il allait dans le sens des voeux de la majorité des Français et du général de Gaulle qui voulaient pardonner l’impardonnable. Mais il a fallu près d’un demi siècle pour que la France reconnaisse pleinement la vérité de la collaboration et du régime de Vichy, ce « passé qui ne passe pas [3]»  bien qu’on cherche à l’oublier.

D’ailleurs, l’alchimie du goût de la vérité et de « la prise de parti » sans parti pris prônée par Camus n’est pas toujours chose aisée, peu commerciale et encore moins consensuelle.  Le journal bat de l’aile malgré sa notoriété et ses plumes talentueuses car le peuple de la France des tickets de rationnement désire plutôt du pain et des logements que des débats d’idées et des journaux bien ficelés. La musique des premiers jours de la libération de Paris est toujours bien là dans les colonnes du  quotidien, mais les paroles ont changé, la critique s’est faite plus radicale, surtout en ce qui concerne la pensée marxiste. La philosophie du déterminisme historique, productrice d’utopie absolutiste, est dénoncée sans retenue. Les idéologues sont toujours prêts à vouloir faire le bonheur des hommes et du monde, quitte à s’appuyer sur des principes meurtriers, Camus appelle à faire front. Tandis que l’armée française bombarde Haiphong, le jour même où « Combat » annonce qu’une « guerre non déclarée semble opposer la France et le Vietnam[4], Camus le reporter d’idées en prise avec l’actualité du moment, sous le titre « Le monde va vite », ose : « De toutes parts en effet, les civilisations colonisées font entendre leurs voix. Dans dix ans, dans cinquante ans, c’est la prééminence de la civilisation occidentale qui sera remise en question. »  

Partisan d’une mise en commun planétaire des matières premières de l’organisation d’un parlement mondial élu, par opposition à l’Organisation des Nations réunis réduite à une confrontation de blocs, Camus invite ses lecteurs à penser le monde, à ne rien attendre des gouvernements, à construire des communautés de travail et de réflexion, à opposer l’exemple à la puissance, l’éthique à la violence. Utopie ? Oui, répondit-il, mais utopie acceptable, vivable. Pour refuser d’être victime ou bourreau. Et dans ses carnets, il note « Le contraire de l’utopie, c’est la guerre[5]. »

Quelques années plus tard, dans une lettre à un lecteur inconnu de « Combat », il ajoutera : « L’idéologue travaille pour un homme idéal encore à venir, c’est-à-dire abstrait. C’est



[1]Albert Camus,  « Essais », op.  cité, pp. 371-372.

[2]François Mauriac, « Le dernier de la classe », Le Figaro du 24 nov. 1945.

[3] Eric Conan, Henry Rousso, « Vichy, un passé qui en passe pas », Paris, Fayard, 1994. 

[4] Combat, 27 novembre 1946.

[5] Albert Camus « Carnets 1942-1951 », Paris, Gallimard, 1964, p. 186.

pourquoi il n’aboutit qu’à écraser l’homme de chair pour lequel seuls les hommes avertis et pessimistes travaillent vraiment[1]. »

Les vicissitudes de la vie chaotique d’un journal

 Reporter d’idées s’étant beaucoup investi dans ce journal, Camus vit alors une première agonie de « Combat ». Il veut refondre le Combat pour lui donner un nouvel élan et s’en ouvre à sa femme Francine : « Pour Combat, tout est simple. Pia et quelques uns voudraient lâcher. J’ai dit (et c’est peut-être mon tort) que dans les conditions actuelles, ce serait une démission. Pia m’a répondu que pour diriger un journal il fallait croire à sa réussite, qu’il n’y croyait pas et qu’en conséquence il devait partir. Finalement, il a accepté de rester si je devenais le directeur du journal, lui faisant le travail matériel (NDLR : ce que Pia a toujours fait) et moi la réforme d’abord puis la supervision. L’expérience est fixée à six mois. Si la vente remonte, Pia aura eu la démonstration que le journal peut réussir et il reprendra son travail J’ai dit que je consentais à faire cette expérience limitée mais pas plus (je pourrai donc prendre des vacances). Cela représentera une présence de six à neuf tous les soirs. Je m’arrangerai pour ne pas y aller le samedi. Ce qui me donne presque trois jours pour moi[2]. »

La tâche est immense et la situation  assez critique au journal. Il n’y a plus de « ligne » Combat, le lectorat fond et le tirage tombe à cent mille exemplaires avec 20% d’invendus, parfois 30%. Pour l’année 1947, « Combat » prévoit un déficit de dix-neuf millions de francs[3]. On évoque même des repreneurs : « La Voix du Nord » ou des banques contactées par Aron. Pia propose de saborder le journal puis reprend courage. Flanqué de Bloch-Michel et Pierre Galindo, il discute à Lille en janvier avec Léon Chadé, patron de « La Voix du Nord » qui garantit 500 000 francs et des recettes publicitaires. De loin, Camus approuve, mais « le côté balzacien de Chadé », l’inquiète. Ce dernier veut de l’ordre. Paul Bodin devient rédacteur en chef. Le journal se vend encore moins bien, la distribution est mauvaise et, du 11 au 17 février l947, une grève de la presse parisienne  - encore une – condamne le journal déjà en sursis.

Outre, ces problèmes matériels qui font partie de la vie d’un journal indépendant qui ne veut pas être inféodé aux puissances de l’argent, un conflit idéologique, voire politique pointe au sein de la rédaction. Unis à la Libération, les collaborateurs du quotidien sont désunis face à la question gaulliste qui dépasse le questionnement critique et fécond à l’égard du « journalisme réel » qui agite la rédaction de « Combat ». De Gaulle va créer un parti, le Rassemblement du peuple français, et décrète que quiconque n’est pas pour lui s’oppose à lui. Malraux est gaulliste, Sartre antigaulliste. « Avec son vieux fonds républicain, note Olivier Todd, Camus se méfie de la partitocratie et du césarisme. Il paraît souvent au journal mais écrit moins ». Pas question de choisir de Gaulle ou de rejeter systématiquement ses suggestions. Camus veut traiter les gaullistes « sur un pied d’égalité avec les autres partis [4]». Ce n’est pas l’option d’autres éditorialistes comme François Bruel ou Albert Ollivier. Le désaccord enfle et durcit avec Ollivier qui veut rédiger une mise au point en avril. D’abord, Camus refuse pour ne pas achever ce « malheureux journal ». Finalement, Ollivier réussit à passer son papier : « Le général de Gaulle appuie de son autorité des idées sur la Constitution, l’organisation politique de la France  et le régime des partis. Estime-t-on, ou non, ces idées fondées ? Voilà la vraie question[5]. » Fatigué et plutôt tolérant, Camus ne censure pas au nom du pluralisme des opinions. D’autres conflits surgissent dans la rédaction à propos de l’acceptation par la France



[1] 1952. Archives Camus, IMEC.

[2]Albert Camus, Lettre à Francine Camus, 2 janvier 1947.

[3]Yves-Marc Aschenbaum, « A la vie à la mort, histoire du journal « Combat », 1941-1970.

[4]Albert Camus, Editorial, Combat, 22 avril 1947.

[5] Albert Ollivier, « Combat » du 23 avril 1947.

du plan Marshall rejeté par l’Union soviétique. Le navire Combat tangue et devient vite ingouvernable….

Le « reporter d’idées » doit alors composer avec la collectivité et les finances du journal, entre affects et concepts, entre idéalisme et réalisme. Camus réunit rue Séguier plusieurs journalistes de « Combat » pour parler des difficultés du journal. Comment financer les pertes ? De Gaulle trouve les hommes de « Combat » sympathiques et talentueux mais un peu fous et incontrôlables. Malraux transmet une offre d’aide des gaullistes. Pas question ! Henri Fesney, souhaitant revenir, pousse Henri Smadja, homme d’affaires tunisien disposé à racheter la moitié des parts de « Combat » et qui se dit prêt à éponger déficit et dettes. Comme tout repreneur qui se respecte, Smadja jure qu’il n’interviendra pas dans la rédaction et la ligne éditoriale. Il n’y a pas d’autres issues. Le ler juin l947, les actionnaires historiques de « Combat » cèdent leurs parts à Bourdet. Pia le gaulliste, jugeant celui-ci trop à gauche, ne veut pas participer à ce « Combat » là et fait sensation en refusant le chèque qui lui revient de droit en tant qu’actionnaire. Mais ce sont avant tout les enjeux des idéaux-critiques, leurs implications, les représentations qu’ils supposent de la politique et de l’économie dans la France d’après la Libération qui nous intéressent ici plutôt que les questions d’intendance du journal. 

 La rupture est définitive : « Combat », journal issu et né de la Résistance,  succombe bon gré mal gré aux forces du Capital qu’il a stigmatisées pourtant à longueur de colonnes et perd donc son indépendance tandis que l’équipe rédactionnelle éclate et se disperse. Les deux amis Pia et Camus ne se reverront jamais malgré les tentatives de rapprochement voulues par Jacqueline Bernard. Georges Altschuler, Jean Sénard, Maurice Nadeau, Jacques Marchand restent au journal. Roger Grenier ira à « France soir ». Smadja rachète la moitié des parts de « Combat », et arrive à ses fins en le contrôlant ainsi entièrement. Boudet a été naïf et manipulé. Déçu et soulagé, note son biographe Olivier Todd, Camus termine ainsi son deuxième cycle journalistique après celle de ses débuts à Alger. Toujours, il refusera que prendre son public en otage  et de mettre le journal au service des puissants, de tolérer des moyens de communication biaisés par rapport aux échanges d’opinions et de regards qui auraient cours librement dans l’espace public si celui-ci n’échappait pas peu à peu aux médias issus de la Résistance comme « Combat » et « Libération » notamment. Le 3 juin 1947, « Combat » tire à 125 000 exemplaires mais ses abonnements ont chuté à 6000. Suivant poliment la règle du jeu, Camus fait ses adieux aux lecteurs, explique que le journal continue... sans lui, avec « notre camarade Claude Bourdet, un des fondateur du journal clandestin ». Il quitte physiquement le Combat au quotidien et sa ruche bourdonnante, par lassitude et fatigue plus que par lâcheté ou cynisme. Le rythme du journalisme au quotidien a eu raison de sa santé fragile, sans compter le stress permanent dû à une passe financière difficile de « Combat ».  

Près de 300 articles en trois ans  à Combat

Vacciné de sa passion pour le journalisme et en mauvaise santé, l’écrivain prend des vacances en famille et  se contentera désormais de donner quelques articles de fond à « Combat ». Ainsi, le 3 janvier 1945, Camus écrit avec pragmatisme : « La politique ne consiste pas à mécontenter tout le monde. Elle ne consiste pas non plus à décevoir personne. Elle consiste à choisir, après avoir réfléchi, et à marcher tout droit dans le sens que l’on a choisi [1].» Ainsi, on sait que lorsque Camus reviendra au journalisme, en collaborant à « L’Express [2]», ce sera pour contribuer au retour au pouvoir de Pierre Mendès France, dont il espérait qu’il saurait régler le problème politique de l’Algérie, thème qui lui est cher et sur lequel il a beaucoup écrit en mai-Juin 1945 dans « Combat ». Articles auxquels il a accordé suffisamment



[1]Albert Camus « Camus à Combat », op. cité, p. 429.

[2] « Albert Camus, éditorialiste à L’Express », Introduction, commentaires et notes de Paul-F. Smets, Cahiers Albert Camus 6, Paris, Gallimard, 1987.

d’importance au point de les reprendre presque tous dans « Actuelles III, Chroniques algériennes », en 1958. 

Mais nostalgique de la presse de la Résistance, il prend à partir de juin 1947 du recul vis à vis du 4e pouvoir et, atteint d’un catastrophisme à la Pia après les lendemains de bouclage qui déchantent, il dénonce avec virulence le journalisme français de l’après-guerre : « Nous étions désarmés puisque nous étions honnêtes. Cette presse que nous voulions digne et fière, elle est aujourd’hui la honte de ce malheureux pays.[1] »

C’est fini. “Ceci doit être bien clair (…) de même que nos camarades qui feront le journal demain ne doivent pas supporter les responsabilités que nous avons prises, de même notre départ nous dégage de toute obligation ultérieure[2].”

Camus se consacrera désormais à son oeuvre, touchant son salaire de lecteur aux Editions Gallimard avant d’y lancer la collection « Espoir ».. Après la publication de « La peste », Camus est délivré et désemparé. Il est en manque en quelque sorte : nous le savons bien tous, nous autres les drogués de l’info, pour avoir aussi connu cette frénésie des soirs de bouclage ou cette difficulté à se réadapter à la vie normale, voire ce mal de vivre... après des semaines de reportage à l’étranger ou le lancement d’un nouveau journal. A mi vie, il avoue : « Je ne sais pas. J’ai envie de changer d’existence mais je ne vois que le voyage[3].» 

 Entre le 21 Août 1944  et le 3 juin 1947, recense scrupuleusement  Jacqueline Lévi-Valensi, Camus aura publié 165 textes : 138 éditoriaux (dont 97 sont signés ou authentifiés) et 27 articles (dont un probable), sans compter les cinq billets signés Suétone (un de ses pseudonymes), et quelques communiqués ou brefs « chapeaux ». Tous ces textes « au croisement de l’idée et de l’événement » ne sont évidemment pas de la même importance, mais aucun n’est anodin ni ne laisse le lecteur indifférent. En les relisant aujourd’hui, ils gardent  toujours force de conviction et un caractère d’universalité sans oublier un style moderne et allant à l’essentiel. Pour la plupart, ils n’ont guère vieilli bien que les temps aient changé. Et Raymond Aron qui  lui succéda comme éditorialiste à « Combat » résume d’une excellente formule l’exceptionnelle qualité de ses « papiers » et l’aura les entourant : « Les éditoriaux d’Albert Camus jouissaient d’un prestige singulier : un véritable écrivain commentait les événements du jour [4]».. Ce n’est pas seulement un bel hommage  à Camus journaliste à « Combat » mais aussi  une bonne et concise définition du « reporter d’idées » tel qu’il devrait être. A bonne distance de l’opinion, de l’événement, de l’idée et de l’information.

« Combat a été un succès ». Telle est la réponse lapidaire de Camus lorsque la revue « Caliban » lui demande à froid, en août 1951, les raisons de l’échec. « Je parle de celui dont nous avons, à quelques uns, inventé la formule ». Et il ajoute : « Il fait la mauvaise conscience des journalistes. Et parmi le million de lecteurs qui ont quitté la presse française, quelques uns l’ont fait parce qu’ils avaient longtemps partagé notre exigence. Nous referons « Combat » ou son équivalent, un jour, quand la situation économique sera stabilisée[5]. »

A travers cette aventure journalistique et humaine de l’intellectuel Albert Camus dans le journal Combat, nous voyons bien comment on passe insensiblement du journalisme idéal à une pratique plus pragmatique et moins mythique afin que les idées touchent les « plus nombreux » et que l’éthique infléchisse la politique. L’œuvre de Camus n’a pas connu auprès du grand public ni des milieux littéraires cet « enfer » que les auteurs, créateurs  et  autres « reporters d’idées connaissent après leur mort pendant un temps plus ou moins long. Pourtant, Camus pris par le vif du sujet de l’après Libération, n’avait prévu aucun des changements du



[1]Lettre d’A. Camus à Touratier, 28 août l947.

[2] Combat, 3 juin 1947.

monde qu’il voulait s’efforcer de conserver, déclare-t-il dans son discours de Stockholm[1], après avoir fait partie de la génération de jeunes gens qui voulaient le changer et perpétuer la flamme de la Résistance française. Ni le retour du fanatisme religieux, ni la mondialisation du terrorisme, ni les transformations de l’expression de la pensée sous les effets des technologies de l’informatique, ni l’ambition humanitaire qui peut conduire à une guerre au nom du bien (qu’aurait fait don docteur Rieux qui, dans « la Peste », soignait des incurables, devant la guerre d’Irak[2] ? Reste que l’influence du reporter d’idées Camus a été considérable mais que c’est pourtant aujourd’hui qu’on en voit les traces. Le combat contre l’absolu, la révolte à l’échelle humaine,l’acceptation que l’homme doit faire son métier d’homme sans certitude de réussite et sans promesse de salut sont des idées qui nourrissent et hantent plus ou moins directement les œuvres de nombre de penseurs et d’essayistes de tous pays. Moraliste « solidaire et solitaire », le reporter d’idées ne peut s’exclure de son temps. C’est ce qui va le conduire à penser, dès l’apparition du terrorisme et de la répression, qu’une certaine forme d’engagement s’impose : il faut prendre parti. C’est ce que Camus  a fait pendant la Résistance pendant l’Occupation contre les nazis, et dès la découverte de l’univers concentrationnaire et du goulag dans les pays de l’Est. Mais dans cette guerre d’Algérie qui le déchire au plus profond de lui-même, tout manichéisme lui paraît à la fois confortable et criminel. Le rêve de Camus aurait été que l’on rende justice aux Algériens  sans priver les pieds-noirs de leur patrie. Il était partisan d’une fédération franco-algérienne qui aurait été possible, selon lui,  sans cette guerre civile interminable. L’intellectuel devait préconiser, contre toutes les fatalités du sens de l’Histoire, cette conciliation entre la justice et la fraternité[3] qui l’avait poussé dans l’aventure journalistique de « Combat » afin d’en convaincre le plus grand nombre.

Nous sommes donc loin d’en avoir fini avec le “crime logique”, pas plus que nous n’en avons fini avec la “peste”, ou avec la justice et la guerre. Et donc, avant tout, avec Albert Camus qui nous invite d’abord à revenir aux faits existentiels que sont l’absurde et la révolte, étudiés en eux-mêmes. Ce ne sont pas des fait simples, ce sont les coordonnées exigeantes, tendues, de l’existence humaine. Ensuite à critiquer les raisonnements abusifs qui prétendent s’appuyer sur ces faits simples pour conduire aux folies meurtrières des hommes et notamment au terrorisme ambiant. Enfin, et c’est peut-être le comble du reportage d’idées et son enjeu ultime, il nous incite à comprendre le sens de ces faits quand on les débarrasse de ces raisonnements, comprendre pourquoi ils apparaissent alors pour ce qu’ils sont, non seulement une condition difficile, absurde, scandaleuse, mais aussi une expérience simple, cosmique, heureuse.

 Christian Duteil



[1]Le “Discours de Stockholm” a été réédité avec l’ensemble des “Discours de Suède” de 1957 en Folio-Gallimard. Lorsque Camus reçoit, en 1947, à l’âge de 44 ans, le prix Nobel, sa première réaction publique sera pour proclamer : “C’est Malraux qui aurait dû l’avoir.” Cette consécration internationale le comble et le terrorise à la fois, lui, un jeune roturier venu des faubourgs ouvriers d’Alger. Sartre l’achève en disant de son Nobel : “C’est bien fait”.

[2] Jean Daniel “Camus, notre contemporain”, Les débats de l’Obs,Le Nouvel Obsevateur, p. 56.

[3] Ibid. p.56.

[3]Lettre d’Albert Camus, ler juillet 1947.

[4]Raymond Aron « Mémoires », op. cité, p. 208.

[5] Caliban, août 1951. In Albert Camus, « Essais », Paris, Gallimard, »La Pléiade », 1990, p. 1565.

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