Pression du Hamas sur un prix littéraire français: Le Prix du roman arabe
Par Louise Gaggini
Les prix littéraires sont depuis toujours «douteux» parce que le fruit d’intérêts liés entre maisons d’éditions, argent et pouvoir, bien loin de la littérature.
D’autant plus aujourd’hui où quelques puissants groupes pour lesquels la littérature n’est qu’une infime partie «économique» de leur business, ont englouti et perverti l’esprit des livres.
Peu à peu, au fil des années, Gallimard, le Seuil, Stock, Grasset et les autres ont composé avec le système et pour une exception qui vient parfois cautionner leurs mauvaises nouvelles façons d’édition, ils publient essentiellement ce qu’il est bien vu d’éditer: des personnalités politiques et médiatiques, des écrivains de salon, dont certains iront siéger, avec le temps, dans des académies prestigieuses, dont certains même n’écrivent pas leur livre donnés à réaliser à «des nègres» ces hommes de l’ombre qui mettent leurs plumes au service d’une personnalité qui sur son seul nom, peut faire vendre.
La société parfois se plaint, rechigne et rejette, s’étonne de ne plus trouver de surprises dans les romans proposés dans les librairies, mais d’une façon assez générale a fini par intégrer la nouvelle littérature qui sévit depuis quelques décennies, heureuse parfois de découvrir au détours d’un rayonnage un bijou de mots perdus, publié par une petite édition qui refuse de s’inscrire dans le processus de destruction des belles lettres et des beaux esprits, qui croit en sa mission de transmission de la pensée…
Des petites éditions qui aujourd’hui seules et en difficulté portent la littérature et les auteurs ; des maisons qu’il faudrait soutenir largement pour qu’elles perdurent et continuent d’ouvrir les âmes à la créativité, à l’imaginaire, au sens et à la forme que contiennent les mots lorsqu’ils sont assemblés par quelque chose de bien plus grand que l’alphabet ou la grammaire. Que pour l’argent.
Hélas, cela demanderait, demande une réflexion personnelle, l’envie, que dis-je, la nécessité de penser librement.
Prendre position, affirmer sa détermination, s’engager et défendre ce que l’on croit juste…
Pas facile d’être seul contre tous, d’accepter les sanctions qui ne manquent pas d’arriver pour le seul fait d’être libre et d’agir librement; pas confortable l’isolement et le rejet, la perte qui survient parfois avec l’arrachement et la destruction…
L’histoire des hommes est jonchée des vies sacrifiées à une pensée ou une idéologie unique, et pourtant et hélas l’histoire persiste à se répéter, inlassablement: d’un côté des dominants qui décident et de l’autre des dominés heureux de l’être.
Heureusement, et puisque l’histoire se répète, elle se reproduit dans toutes ses facettes et au milieu d’un espace régenté, donne à voir des réfractaires, insaisissables, fluides, flamboyants, magnifiques et capables d’oser.
Boualem Sansal en est un. Cet Algérien, reconnu pour son talent d’écrivain et sa force d’opposition contre les lois et les pensées iniques, se voit écarté d’un prix littéraire «Le prix du roman arabe» qui récompense un ouvrage de haute valeur littéraire publié par un écrivain d’origine arabe dont le roman a été écrit ou traduit en français.
Après avoir été averti du prix qui lui était destiné et convié et invité officiellement à la remise du prix le 6 juin à l’Institut du monde arabe par sa directrice générale et l’ambassadeur de Jordanie en France, les membres du jury français, ont reçu un mail qui annulait cette cérémonie en «raison des événements actuels dans le monde arabe» et proposait une autre réunion en présence de l’ambassadrice de Jordanie et de l’ambassadeur de la Ligue des Etats arabes à Paris.
Un simple petit mail pour désavouer Boualem Sansal. Et pourquoi une telle outrance envers l’auteur ?
Voilà ce qu’en dit Olivier Poivre D’Arvor un membre du jury du Prix du roman arabe.
«Tout cela cache une vérité sordide. Entre l’attribution et la remise de notre prix, Boualem Sansal s’est rendu en Israël à l’invitation du Festival international des écrivains de Jérusalem. Le Hamas a aussitôt rédigé de Gaza un communiqué assimilant sa présence à un acte de trahison contre les Palestiniens. D’où la réaction du conseil des ambassadeurs arabes, mécène de ce prix. Boualem Sansal est un écrivain de grand talent, salué en 2011 par le Prix de la paix des libraires allemands. Limogé de la fonction publique algérienne pour sa critique du pouvoir en place, censuré dans son pays, notamment pou rle Village de l’Allemand, régulièrement menacé et insulté, comme lors de son refus du boycott du salon du Livre de Paris en 2008 où les Israéliens étaient invités d’honneur, il a choisi de rester vivre et écrire en Algérie.»
Après cet entretien donné à notre confrère Libération, Olivier Poivre d’Arvor, écrivain, diplomate et directeur de France Culture, j’ajouterai un flamboyant lui aussi capable d’oser, a démissionné du jury du Prix du roman arabe et a convié les autres membres du jury à en faire autant.
L’on ne sait pas aujourd’hui quelle sera la décision du reste du jury, certains de ses membres étant bien trop impliqués dans le système perverti de l’édition dont je parlais un peu plus haut, mais qui sait, ce sont les petites rivières qui font les grands océans, alors peut-être qu’Olivier Poivre d’Arvor saura drainer vers lui quelques eaux encore indécises sur le cours à prendre?
Pour ma part et avec la rédaction du magazine nananew.fr nous avons déjà montré notre esprit libertaire et notre indépendance en proposant des sujets et des réflexions pas dans l’air du temps, et le plus souvent à contre-courant du consensus, et si nous n’avons pas la vanité de nous croire flamboyants, nous revendiquons pour nous et pour tous, la liberté de penser.
Hier nous soutenions Antonio Pennacchi et son roman Canal Mussolini, les dissidentes Arabes et les jeunes appelées Israéliennes, depuis quelques semaines Boualem Sansal et Jean-Pierre Lledo. Aujourd’hui et demain, avec la montée des extrêmes et l’hypocrisie générale des politiques, les libertés des uns et des autres, la vôtre et la nôtre seront mises à l’épreuve, et nous avons tous un grand intérêt à la vigilance et à la mesure. À la conscience de l’autre. Au respect qu’on lui doit.
L.G