Lois mémorielles, liberté d’expression, Chomsky, Faurisson et moi…
Par Lucie
En ces temps d’élections, les propositions de lois « électoralistes » bourgeonnent, et même parfois fleurissent, comme cette loi qui condamne la négation des génocides reconnus.
Sans se prononcer sur le cas particulier du génocide Arménien et des relations stratégiques compliquées que nous entretenons avec la Turquie, il est bon de rappeler que cette loi condamne également la négation du génocide Rwandais, ainsi que tout autre génocide qui pourrait être légalement reconnu comme tel par la loi Française.
La France est l’un des pays qui a le plus de lois mémorielles ; loi Taubira, qui condamne la négation de l’esclavage, loi Gayssot qui condamne la négation de la Shoah, et maintenant cette loi.
D’un point de vue Américain par exemple, cela est choquant. Je me souviens de Noam Chomsky, ( que je considère personnellement comme l’un des hommes les plus intelligents et intègres de ces dernières décennies), préfacer un livre de Faurisson - qui rappelons-le nie l’existence des chambres à gaz - sans l’avoir lu car pour lui il est inconcevable de condamner quelqu’un pour l’expression des ses idées, aussi stupides ou ignobles soient-elles, ce qu’il disait d’ailleurs dans sa préface.
Je me souviens aussi de nombres d’historiens de renom, absolument pas négationnistes, qui faisaient valoir à l’époque, comme ils l’ont fait valoir récemment, que c’était aux historiens de débattre des faits historiques et non aux gouvernements de décider de leur vérité.
Enfin, les dernières conclusions de la commission des droits de l’homme à l’ONU sont que les lois mémorielles sont contraires aux principes des droits de l’homme et que la seule limite qu’elle préconise à la liberté d’expression est l’incitation à la haine. C’est-à-dire que l’on ne devrait pas pouvoir condamner une personne qui nie l’existence des chambres à gaz, seulement une personne qui exprime qu’elles furent une bonne chose.
Pour ce qui est de la position de Chomsky, peut-être est-ce un déterminisme culturel de française, mais son apologie d’une liberté d’expression totale ne me convainc pas. Il me paraît sensé que des garde-fous contre la diffamation et l’incitation à la haine existent légalement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les conclusions de la commission de l’ONU me paraissent d’une naïveté déconcertante.
Prenons le cas de l’esclavage et d’une personne qui n’y croit pas. Selon les recommandations de l’ONU si elle dit que cela n’a jamais existé elle ne tombe pas sous le coup de l’incitation à la haine raciale. Oui, dans un modèle informatique. Car la réalité du cerveau humain est de chercher à comprendre les situations. Rationaliser, puis convaincre un maximum de personnes de la justesse de ses vues. Ce qui nous a permis de comprendre notre système solaire et de marcher sur la lune nous permet aussi d’élaborer des théories du complot extrêmement raffinées. Hors une personne fermement convaincue que la traite des noirs à l’échelle mondiale et leur réduction à l’état de marchandise n’est jamais arrivée cherchera à comprendre comment autant de gens peuvent être dans l’erreur, comment tant de livres scolaires et d’émissions de télé peuvent affirmer l’existence d’une telle chose. Et pour cela, il cherchera à qui profite le crime. Aux noirs qui cherchent à culpabiliser les blancs ? oui, mais dans quel but ? Pour nous envahir sans que l’on se défende peut-être?
Avec la Shoah l’exemple est encore plus facile. Aller regarder qui tombe dans le négationnisme et vous y trouverez toujours des gens qui donne dans le complot juif pour la maîtrise du monde. Et cela alors que des preuves matérielles existent, on peut même les visiter. Alors que des survivants de l’époque vivent encore.
Le fait de nier l’existence de la Shoah ou de l’esclavage fait des victimes des ennemis qui attaquent au moyen d’une guerre psychologique. Transformer quelqu’un en ennemi, on fait difficilement mieux comme incitation à la haine.
Dernier point, qui est loin d’être trivial, l’argument des historiens. En effet, l’Histoire est toujours un enjeu politique, et ce n’est pas pour rien que les dictatures contrôlent très étroitement non seulement l’information récente mais aussi le discours historique. Il est donc du devoir des historiens de se battre pour garder leur indépendance vis-à-vis de leurs gouvernements comme il est du devoir des journalistes de résister eux aussi aux pressions ; ces deux corps étant les premiers garants de la liberté et de la démocratie.
Mais tout comme la liberté d’expression se réajuste presque continuellement entre liberté totale et encadrement nécessaire, il est bon que les gouvernements puissent prendre des mesures exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles. Et l’esclavage tout comme les génocides ne sont pas taxés de crimes contre l’humanité pour rien.
Je dirais donc qu’il appartient aux historiens de définir quand des actes rentrent dans cette catégorie, en étant entendu qu’un certain temps est souvent nécessaire pour la perspective historique. Que cette catégorie soit traitée légalement de manière exceptionnelle est essentiel, afin que nous puissions prendre conscience du caractère extra-ordinaire des actions humaines qui y sont classées, et que espérons le, cela nous aide à ne pas reproduire ces exactions.
Lucie.
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