Les leçons de Star Trek dans les relations internationales
Par John Arquilla
Depuis les débuts du droit international moderne dans le milieu des années 1700, la non-intervention militaire dans les affaires des autres est devenue une norme- la directive Première de Star Trek version monde réel - mais elle a été régulièrement bafouée .
En commençant avec Emerich de Vattel et sa « Loi des nations » (1758), continuant avec John Stuart Mill et "Quelques mots sur la non-intervention» (1859) ou John Vincent avec« la non-intervention et l'ordre international » (1974), un flux régulier de philosophes , d' universitaires et d' hommes d' Etat ont affirmé le droit des peuples à déterminer leur propre destin sans que des militaires étrangers arrivent pour régler leurs querelles. Pourtant, le poids des arguments pragmatiques et logiques a été balayé à plusieurs reprises par des pays désireux d'étendre leur influence et de contrôler des ressources naturelles, ou, peut-être plus noblement, pour «améliorer» la vie des autres. Comme l'a observé Hedley Bull dans les années 1980: «. L' écart entre la règle de non-intervention et les interventions réelles est maintenant si vaste que l'ancienne règle est devenue une blague"
Lors des décennies qui ont passées depuis la remarque du professeur Bull, les États-Unis ont été l'un des meilleurs praticiens au monde quand il s'agit d'intervenir, souvent motivés par une volonté croissante de recourir à la force pour répandre la démocratie. Avant les mésaventures militaires de George W. Bush au Moyen-Orient, Bill Clinton avait mis en place une mission d'aide à la Somalie dans le but de faire pencher la balance dans une guerre civile, une intervention qui s'est mal terminée dans les rues chaotiques de Mogadiscio en 1993. L'année suivante, il a ordonné une invasion d'Haïti - une menace qui a été suffisante en soi pour faire s'enfuir le dictateur Raoul Cédras. Clinton est également intervenu à deux reprises dans les Balkans, en grande partie pour des raisons humanitaires - les deux fois avec la puissance aérienne uniquement, même dans cette ère pré-drone. Au Rwanda cependant, où près d'un million d'innocents ont été massacrés à la hache en quelques mois, Clinton objecta à une intervention - une inaction qu'il dit dans ses mémoires être «son plus grand regret."
Barack Obama a pris fait et cause pour l'intervention à l'étranger tout autant que ses prédécesseurs immédiats mais avec beaucoup plus de subtilité. En Libye, par exemple, il cultivé à la fois la participation des alliés et limité le rôle des Américains à du soutien logistique. De même avec le Mali. Même ses attaques de drones sur le territoire souverain des autres nations sont faites à un rythme lent - quelques dizaines seulement ont été lancées cette année - et bien plus furtivement. Maintenant, il demande le retrait de Bachar al-Assad en Syrie, mais il a jusqu'à présent limité la notion d'intervention à une intensification de son soutien aux «bons rebelles." C'est plus ou moins la position que Ronald Reagan avait pris en faveur de l'armement des moudjadins afghans dans les années 1980 - quoique qu'il est plus juste d'appeler cette action une «contre-intervention», car il y avait plus de 100.000 soldats russes qui occupaient l'Afghanistan à l'époque. Le plus grand test Obama viendra de l'Iran, où il pourrait faire valoir que la légitime défense oblige d'intervenir pour prévenir la prolifération des armes nucléaires.
Les Etats-Unis n'ont guère été les seuls à "se moquer" de la norme de non-intervention. Tout au long de la guerre froide, l'Union soviétique a apporté un soutien considérable aux guerres de libération nationale - souvent avec l'aide de soldats cubains, qui ont combattu bien plus que leur poids sur la scène mondiale l'aurait laissé présager. C'étaient des types de guerres auxquelles, ironie du sort, les Russes s'opposent désormais en aidant Assad en Syrie. Après l'effondrement de l'URSS, les troupes russes sont intervenues dans plusieurs « états- successeurs », dans un soi-disant «étranger proche». Mais Moscou a apparemment tempéré son appétit pour l'intervention et sert maintenant de chef de file au sein des Nations Unies, avec la Chine, à l'encontre de telles entreprises - même si les forces russes stationnent en Abkhazie contre la volonté du gouvernement géorgien .
Toutes ces actions doivent nous inciter à nous demander si le principe de non-intervention ne devrait pas tout simplement être abandonné. Quand on revient sur l'histoire américaine, cependant, on peut y trouver beaucoup de soutient a la non-intervention. Oui, les Américains doivent reconnaître que l'indépendance vis à vis de la Grande-Bretagne a été gagnée en partie à cause de l'intervention militaire française. Mais la décision de la Grande-Bretagne de ne pas intervenir dans la guerre civile - un choix fait à Londres après de nombreux avertissements russes de rester en dehors du conflit - contribua puissamment à la victoire de l'Union. A ces événements, il faut ajouter la nette préférence des pères fondateurs à éviter les guerres à l'étranger. En effet, dans le sillage de la guerre d'indépendance, et pendant quelque temps après, l'«armée permanente» a été maintenu sous 1.000 soldats, dont la plupart patrouillaient aux frontières. L'intervention étrangère était une chose à laquelle les fondateurs portaient peu d'intérêt.
Ces sentiments étaient prévalents dans le corps politique, et l'intervention américaine pendant la Première Guerre mondiale n'est venue qu'après que les U-boats allemands aient commencé à mener une forme particulièrement brutale de guerre sous-marine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont restés en arrière jusqu'à ce qu'ils soient directement attaqués à Pearl Harbor, et même alors, Franklin Delano Roosevelt ne put obtenir qu'une déclaration de guerre contre le Japon uniquement. La guerre avec l'Allemagne dû attendre les quelques jours qu'il fallu à Hitler pour déclarer la guerre aux États-Unis.
La philosophie américaine de non-intervention a commencé à s'éroder au cours de la guerre froide, lorsque les décisions ont été trop souvent pris pour intervenir dans les pays où la rivalité russo-américaine se jouait. Mais après l'effondrement du communisme, et même maintenant, en ces temps peu peuvent entraver l'interventionnisme américain, des mises en garde sont toujours entendues. Ron Paul a peut-être reçu trop peu de votes pour faire une différence dans la politique présidentielle américaine, mais son message de non-intervention résonne encore profondément dans tout le pays.
Alors peut-être que de conserver le principe de non-intervention serait une bonne idée. Après la débâcle dont la politique étrangère américaine a souffert cette dernière décennie, la notion de non-intervention offre d'importantes bases éthiques et intellectuelles pour ceux qui appellent à la prudence. Ce principe est aussi en phase avec la grande majorité des autres nations - qui préfèrent la non-intervention - ce qui contribuera à consolider le genre d'unité qui va s'avérer cruciale si le progrès, la prospérité et la paix doivent avoir une chance dans le futur. Cette unité sera également grandement utile en ces occasions, rares je l'espère, où l'intervention sera appropriée - pour empêcher que des génocides, comme au Rwanda,ne se reproduisent.
Dans le monde de Star Trek, la directive Première servait d'encadrement, elle n'était pas une interdiction indépassable de l'intervention. Et donc il y avait de nombreuses interventions et contre-interventions. Ma préférée était dans la série originale, l'épisode "A Private Little War", où le capitaine Kirk ordonna à Scottie de construire quelques fusils à énergie pour les habitants des collines d'une planète parce que les Klingons s'armaient de l'autre côté avec ces armes relativement avancées. Kirk est intervenu, mais seulement après beaucoup d'introspection, et d'une manière proportionnée, qui a établi un rapport de force et au moins gardé l’esprit de la Directive Première.
Si seulement toutes les interventions du monde étaient envisagées avec autant de circonspection !
Publié le 1 avril 2013 sur Foreign Policy.com
traduction nnn