Où Chateaubriand s’occupe lui aussi du sort de Florence Cassez
Par Christian Duteil
En France, pays de vanité, aussitôt qu’une occasion de faire du bruit se présente, une foule de gens la saisissent: les uns agissent par bon cœur, les autres par la conscience qu’ils ont de leur mérite. J’eus donc beaucoup de concurrents: ils sollicitèrent, ainsi que moi, de Madame Florence Cassez, condamnée au Mexique à 60 ans de prison pour trois enlèvements, l’honneur de la défendre et si possible de la sortir de ce mauvais pas.
Alors que la diplomatie française était prise en otage par la politique politicienne et nos hommes politiques impuissants devant cette nouvelle« betancourisation » des relations bilatérales. Sans oublier que vos droits fondamentaux, dont « la présomption d’innocence », avaient été violés par le montage télévisée de votre arrestation soit disant en « flagrant délit », le 9 décembre 2005. Lors d’une opération en grande pompe prétendument en direct, au cours de laquelle trois otages étaient «libérés» dans le ranch de votre ami Israël Vallarta.
Du moins ma présomption à m’offrir pour champion à la prisonnière depuis sept ans était un peu justifiée par d’anciens services: si je ne jetais pas un milliard dans la balance, comme un gouvernement imprudent l’avait prétendu avec Madame Claustre ou ne jouais le fier-à-bras comme un ex-président va-t-en guerre qui fit de l’affaire Cassez une cause nationale, j’y mettais mon nom: tout peu important qu’il est, il a déjà remporté quelques victoires. Et enfin, j’y trempais ma redoutable plume au vitriol pour mieux faire prévaloir les droits des victimes sans affecter ceux des inculpés… Je n’y trouvai pourtant pas le repos: j’avais fui devant ma destinée comme un malfaiteur devant son crime. Vous rêviez alors de ne plus vous habiller de bleu, la couleur de l’uniforme des détenues derrière les barreaux de votre prison de Tepepan, au sud de Mexico.
Illustre captive qui a toujours proclamée son innocence, Florence! que votre héroïque présence sur une terre qui s’y connaît en corruption et en sauvagerie amène la France à vous répéter ce que mon indépendance politique m’a acquis le droit de vous dire : «Madame, vous êtes notre Antigone!» Le 30 novembre 2010, la conférence épiscopale du Mexique annonce «l’absolue innocence de la jeune femme». Or, la jeune femme captive et innocente, c’était vous jusqu’à preuve du contraire.
Sans compter l’appui de la Commission des droits de l’homme de Mexico qui dénonce les violations des garanties élémentaires de la condamnée par la police…
Après un long feuilleton judicaire et politique, la providence de votre libération surprise nous a enfin récompensé, après avoir eu l’honneur d’embrasser vos adversités. Si vous pouviez nous revenir préservée de toutes les souillures, j’irai volontiers prendre, sur votre rocher, la place de Prométhée et achever dans la plus cruelle des retraites l’existence que j’ai commencée dans l’exil. En politique, la chaleur de mes opinions n’a jamais excédé la longueur de mon discours ou de ma brochure.
Mais c’était sans compter avec la virulente polémique au Mexique que votre libération suscite. Tout était appelé par son nom avec le cynisme des chiens. Votre cas, Madame, enflamme l’opinion divisée comme du temps de l’affaire Dreyfus. On vous traite même de femme de mauvaise vie, pire de meurtrière. Sans même un début de preuve. Les métaphores pour vous décrire sont prises des objets les plus sales de tous les genres de voirie et de fumier, ou tirées des lieux consacrés aux prostitutions des hommes et des femmes. Des milliers de Mexicains effrayés par les enlèvements craignent aujourd’hui qu’on ait ouvert en vous libérant pour vices de procédure, sans vous disculper sur le fonds de l’affaire, la boîte de Pandore à l’impunité des potentiels kidnappeurs qui sont légion ici.
Je suis un homme de lettre plus que de chiffres. Mais tout de même… Chaque jour, deux personnes sont kidnappées selon la police. Bien plus d’enlèvements ne sont jamais dénoncés dans un pays où seulement 3% des délits sont jugés, selon l’Observatoire citoyen de la sécurité, la justice et la légalité.
Votre cas est à la fois emblématique et symptomatique des manipulations de la police et du ministère public qui falsifient les preuves pour trouver de faux/vrais coupables et les livrer ainsi en holocauste à la vindicte publique…. Tout en dopant au passage leurs quotas d’arrestations avec la complicité des juges.
Une passion vraie et malheureuse est un levain empoisonné qui reste au fond de l’âme et qui gâterait le pain des anges. L’amour est aveugle, dit-on, mais ce n’est pas une raison suffisante pour vous charger de tous les maux de la terre mexicaine et vous laisser croupir en prison pendant de si longues années. Votre divine libération en ce début d’année montre que la diplomatie ne se limite pas aux coups de menton. Sachez qu’elle comble le dernier de vos fidèles et constitue la belle surprise des alternances politiques.
Votre dévoué René