Quand l’habit fait le bigot et la bigotte c’est l’apparence qui triomphe.
Par Gil Jouanard
Une dame à l’air austère et qui se fait passer pour une délurée féministe, par ailleurs Algérienne, s’indigne du fait que l’on rechigne à laisser se répandre dans nos villes le port de la burqa. Elle précise qu’elle-même ne porterait jamais cet accoutrement, mais que chacun a le droit de porter ce qu’il veut où il veut (note de l’auteur : sauf bien sûr dans quelques pays d’obédience musulmane, où il est interdit pour une femme de sortir tête nue, au risque d’être incarcérée, ou de porter pantalon, sous peine d’être fouettée !). Et elle assène cet argument péremptoire : « Je ne vois pas pourquoi on autoriserait les Bretonnes à s’habiller en Bretonne et interdirait aux Musulmanes de porter la burqa ».
Alors, là, chère féministe soit disant Arabe (tout indiquant au demeurant que vous êtes plutôt Berbère, et même sans doute Kabyle), votre délire pousse un peu loin le bouchon car :
Premièrement, si l’on peut encore voir quelques vieilles Bigoudennes arborer la coiffe traditionnelle à Pont-Aven, on n’en voit aucune à Paris ni même à Rennes, où ce couvre-chef désormais folklorique ferait rigoler doucement la population unanime. Tout au plus voit-on les danseuses de quelques groupes folkloriques ponctuellement accoutrées de cette manière seyante mais surannée et même désuète.
Deuxièmement, ce signe, à la rigueur distinctif, et si parcimonieusement arboré, est une marque d’appartenance purement locale, dénuée de toute connotation religieuse ou « sexiste » car n’étant nullement destinée à signifier le caractère soumis et inférieur, et donc le statut humiliant, de la femme. Or, si le fichu, un peu grotesque et très irritant quand il est porté de façon aussi ostentatoire et visant à l’unanime revendication « communautaire », passe encore, le voile devant le visage est totalement inacceptable pour quiconque considère la femme comme un être humain de première catégorie, égal à l’homme ; et ne parlons pas de la burqa (qui n’est du reste ni arabo-musulman ni musulman du tout, mais…afghan –ce peuple dont il est singulier de constater qu’il est d’origine indo-européenne, notion au demeurant exclusivement linguistique !). Cacher qui l’on est n’est pas seulement impoli ou indélicat, c’est aussi stupide dès lors que, sous prétexte d’Islam, on arbore des tenues tantôt iraniennes, tantôt pachtounes, qu’on n’a jamais portées à Agadir, à Mostaganem ou à Sfax ! Et cette façon de faire disparaître sa propre identité sous prétexte de manifestation identitaire vient confiner à la paranoïa rehaussée d’un zeste puissant de schizophrénie.
Si vous vouliez comparer les Bigoudennes à d’autres femmes algériennes, il faudrait plutôt aller du côté des Ouled Naïls, qui, de surcroît à visage découvert, portent une tenue régionale, au demeurant fort seyante. Et qui ont plutôt tendance à ne plus guère le faire que pour participer à des spectacles, fort beaux, de chants et de danses berbères (en quoi elles font comme nos vieilles mémés de Pont-Aven ou comme les Arlésiennes, qu’on ne voit pas se balader avec leur coiffe et vêtues de robes amples à imprimés en dehors de quelques cérémonies festives !).
Je vous signale en passant que le terme « Arabe » que vous utilisez à tout propos pour parler des vôtres et de vous-même, est inexact, puisque les deux tiers au moins, des ressortissants du Maghreb descendent des Gétules et des Numides (y compris certains Juifs qui sont des Numides anciennement convertis, et qui pour la plupart sont curieusement allés se « rapatrier » en Israël !), au moins la moitié du troisième tiers étant constitué de métis de Romains (eux-mêmes issus d’un mélange de toute sorte d’apports méditerranéens), de Vandales, de Byzantins (majoritairement grecs, lydiens, lyciens, phrygiens, galates, hittites même !), d’Ottomans (et de résidus de peuples balkaniques et caucasiens qui constituaient le gros de leurs troupes, notamment les terribles janissaires), de Maltais, d’anciens Carthaginois d’origine phénicienne, de descendants de populations sub-sahariennes jadis capturées ou du moins « monnayés » par des marchands arabo-berbères et vendus comme esclaves (dont les Gnaouas marocains sont la trace la plus notoire). Les Arabes, venus d’Arabie et tout aussi sémites (notion linguistique et non « raciale ») que le furent les Hébreux, ont toujours été minoritaires, tout comme les Celtes dans la Gaule ancienne ou les Ottomans dans l’Empire éponyme. A ce propos, il n’est pas inutile de préciser que figurent aussi, parmi vous, d’anciens Juifs convertis à diverses époques (qui ont donc suivi le cheminement inverse de celui des Numides judaïsés), soit au Christianisme, soit à l’Islam.
Donc, chère Madame, révisez votre histoire d’Algérie et votre histoire de France ; et par ailleurs regardez autour de vous et dites-moi si vous avez jamais vu une Bigoudenne en tenue folklorique s’asseoir sur les bancs de l’université de Rennes, une Alsacienne avec sa coiffe en ailes de papillon en faire de même à celle de Strasbourg et un Auvergnat se balader en chapeau noir et blouse bleue, un Basque avec son pantalon blanc, son béret rouges et ses espadrilles, une Niçoise avec son grand chapeau de paille et sa jupe de couleurs vives. Comme la réponse sera nécessairement non, et qu’on ne voit pas non plus nos concitoyens se promener avec les signes distinctifs de leur religion, si tant est qu’ils en aient, ce qui est devenu rare (sauf certains Musulmans et certains Juifs, en partie d’ailleurs par réaction les uns vis-à-vis des autres, et pas forcément pour des motifs d’ordre crucialement mystique…), que nos curés eux-mêmes s’habillent en civil juste de façon un peu austères (et encore pas tous !), on est tenté de vous suggérer d’intervenir plutôt, en tant que « laïque » et « féministe » déclarée, afin que cesse ce cinéma de la représentation et ces simagrées dont la foi n’a aucun besoin, quelle qu’elle soit.
La vérité, c’est que tout ceci ne procède que d’une seule pulsion : celle du prestige de l’uniforme ! Au lieu de chercher à se distinguer, ces braves gens cherchent à ressembler, ressembler coûte que coûte.
Le légitime souci d’émancipation passe par le rejet résolu, non violent mais ferme, de ces faux-semblants. Une féministe militante comme vous, Madame, devrait être encore plus sensible que quiconque à ce phénomène, et dénoncer cet exhibitionnisme de l’humiliation.
G.J