Education prioritaire : les raccourcis de Najat Vallaud-Belkacem
Le Monde | 09.12.2014 à 17h28 • Mis à jour le 09.12.2014 à 18h20 | Par Samuel Laurent
Invitée de RMC et de BFMTV, la ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a notamment évoqué la réforme de l'éducation prioritaire. Environ 400 établissements sont concernés par cette modification de la carte des établissements classés en « éducation prioritaire », les ex-ZEP (zones d'éducation prioritaire), devenus, depuis la rentrée 2014, des REP (réseau d'éducation prioritaire).
Avec cette réforme, certains établissements perdront ce statut de « prioritaire » et la série d'avantages qui en découlent. D'où une mobilisation croissante des enseignants et des parents d'élèves de ces collèges et lycées, que la ministre tente de circonscrire.
Lire : Education prioritaire, quelle alternative aux sorties de ZEP ?
Pour leur répondre, Mme Vallaud-Belkacem explique que la carte des ZEP n'aurait pas bougé depuis leur création il y a trente ans. C'est pour le moins un raccourci, au regard des nombreuses évolutions qu'a connu l'éducation prioritaire.
Ce qu'elle a dit :
« La carte des ZEP n'a pas évolué depuis trente ans. Croyez-vous que la situation des établissements n'a pas évolué, depuis trente ans ? On s'est contentés d'accumuler les établissements concernés. »
Pourquoi c'est très raccourci ?
1. Que propose la nouvelle réforme ?
La réforme en cours passe d'une logique de « zones », devenue complexe, à une logique de réseau. Dans chaque rectorat, l'Education nationale identifie les établissements concernés par une série de facteurs (taux de boursiers, parts d'élèves défavorisés ou vivant en zone urbaine sensible, retards accumulés en classe de 6e…) avant d'attribuer ou non un classement en REP ou REP+ pour les plus en difficulté. A terme, on devrait compter 350 REP+ et 781 REP, soit 1 081 réseaux d'éducation prioritaire au total.
Un établissement classé REP ou REP+ bénéficie d'avantages : des enseignants qui touchent une prime et assurent une heure et demie de cours en moins par semaine (en REP+), des heures de formation, des tuteurs et des moyens souvent plus importants. En outre, le classement du collège ou du lycée touche également les écoles primaires ou maternelles situées dans son « réseau », donc dans sa zone.
Selon Mme Vallaud-Belkacem, la réforme en cours aboutira à environ 200 nouveaux établissements classés en REP et REP+, et autant de sorties de ce classement.
Lire : la carte des 102 « super ZEP » à la rentrée 2014
L'enjeu est donc important pour les établissements qui bénéficient de ces attributions. Néanmoins, il paraît difficile de dire que la carte des ZEP n'avait, avant cette réforme, pas bougé depuis trente ans.
De sa naissance en 1982 à aujourd'hui, l'éducation prioritaire a connu pas moins de quatre grandes réformes, en 1991, 1997, 2006 et 2010. Avec à chaque fois des mouvements importants.
>> Lire : Des « ZEP » aux « REP », la nouvelle carte de l'éducation prioritaire inquiète
2. ZEP, RSS, RAR, ECLAIR, REP... Quatre grandes réformes
Il est ardu de revenir dans le détail sur ces trois décennies, tant l'Education nationale a multiplié les politiques, programmes, actions et sigles en la matière. On peut toutefois tenter de brosser un tableau parcellaire des grands mouvements de réforme.
1982 La création des ZEP, alors vécue comme une « discrimination positive », met en place 363 zones d'éducation prioritaires, qui touchent 8,3 % des écoliers, 10,2 % des collégiens, 7,4 % des élèves de lycée professionnel et 0,8 % de ceux de lycées généraux. Ce nombre va aller croissant : en 1984, 19 académies comptent des élèves en ZEP (la Corse n'en a pas). En 1989, toutes les académies ont plus de 6 % d'élèves en ZEP. Six en ont plus de 18 %... dont la Corse (24,5 %).
1991 Lionel Jospin réforme une première fois les ZEP en augmentant leur nombre, qui passe à 554, et introduit d'autres changements comme la création d'une prime dédiée pour les personnels. Jusqu'ici, il s'agit donc plutôt d'un « empilement » d'établissements, pour reprendre l'expression de Mme Vallaud-Belkacem. Après cette relance, on compte 5 503 écoles et 796 établissements en ZEP.
Entre 1991 et 1999, la proportion de collégiens et d'écoliers en zone d'éducation prioritaire reste globalement stable, selon un rapport de l'inspection générale de l'Education nationale en 2006. Mais cette stabilité cache des mouvements importants entre les académies. Ainsi, celle de Rennes voyait le nombre d'écoliers et de collégiens en ZEP baisser, quand il augmentait à Lyon, par exemple.
1997 La gauche au pouvoir lance une « seconde relance de l'éducation prioritaire », avec la création des contrats de réussite des réseaux d'éducation prioritaire (REP), qui modifie une nouvelle fois la carte. Selon le syndicat enseignant Snes, en 1999, plus de 700 établissements sont sortis de la carte des ZEP, notamment en zone rurale, quand 1 559 y entrent. 562 passent de ZEP en REP, dont des établissements qui n'étaient pas classés en éducation prioritaire.
2006 Un rapport fait un bilan mitigé des ZEP, constatant notamment que les résultats y sont moins bons qu'ailleurs malgré des moyens renforcés. Il propose une nouvelle approche, avec un ciblage accru des réseaux les plus difficiles. Sont donc créés 253 réseaux ambition réussite (RAR), dotés de moyens supplémentaires et pilotés au niveau national. Les ZEP et REP restants sont regroupés en 823 réseaux de réussite scolaire (RRS) pilotés par les académies.
2010 Quatre ans plus tard, un autre programme, centré sur la violence scolaire, est mis en place et absorbe les RAR. Il est intitulé CLAIR, pour collège lycée ambition innovation réussite, puis ECLAIR, lorsqu'il intègre les écoles l'année suivante. En 2012, on compte 301 collèges et 2 096 écoles en Eclair et toujours 781 collèges et 4 457 écoles en RRS.
La réforme de 2013-2014 vise donc à remplacer les ECLAIR et RRS par les REP et REP+.
3. Des mouvements notables en trente ans
Najat Vallaud Belkacem n'a pas tout à fait tort : la tendance a longtemps été à l'accroissement et les rapports notent la difficulté à « sortir » un établissement d'un réseau d'éducation prioritaire une fois qu'il y est rentré.
Néanmoins, après un pic au début des années 2000, les établissements concernés par un programme d'éducation prioritaire ont cessé de croître. Selon les chiffres du réseau Canope, on comptait plus d'écoles en zone prioritaire en 1999-2000 qu'en 2012 : 7 329 contre 6 770. Quant aux collèges, il y en avait un peu plus en 1999 (1 105) qu'en 2012 (1 099).
Surtout, cette relative croissance masque des mouvements internes complexes. Ainsi, comme le montrent plusieurs cartes publiées dans le rapport de 2006, des académies ont vu le nombre d'élèves concernés diminuer dans les années 1990, quand d'autres augmentaient fortement. Il est assez aisé de retrouver des documents notant les sorties de ZEP d'établissements au niveau d'une académie.
On l'a dit, pour plusieurs académies, la décennie 1990-2000 s'est traduite par une baisse du nombre d'élèves concernés par l'éducation prioritaire, comme l'expliquait cette note de 2001, tableaux à l'appui : ici, dans les académies de Toulouse ou de Rennes, la part de collégiens et d'écoliers en zone d'éducation prioritaire est clairement en baisse.
En outre, on l'a vu, les programmes, moyens et dispositifs ont fortement évolué également, notamment avec la politique de ciblage accrue décidée à partir de 2006-2007. Il est à cet égard paradoxal de noter qu'« être en ZEP » fut longtemps vu comme négatif, quand, à l'heure actuelle, parents et professeurs se mobilisent pour que leur école reste dans le réseau d'éducation prioritaire.
Dire que la situation n'a pas évolué en trente ans, alors qu'elle a connu pas moins de quatre grandes réformes, qui ont fortement modifié les moyens accordés, leur ciblage et la philosophie même de l'éducation prioritaire semble donc pour le moins rapide.